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mercredi, juin 13, 2007

58- 1° Assises du roman, Lyon : LITTERATURE ET TRAUMA

La deuxième rencontre : « Littérature et trauma : entre violence passée et violence présente (1° séance) » a réuni André BRINK, David ALBAHARI, Wei-WEI, Yasmina KHADRA. La rencontre a été animée par Magda EL GUINDI (Al Ahram, Egypte) et Francesca ISIDORI (France Culture). Trois jeunes étudiants en littérature sont prévus par l'organisation afin d’interroger les écrivains.

Francesca Isidori ouvre la séance en s’interrogeant sur l’impact que peut avoir une catastrophe collective, une situation traumatique sur un individu, une société, un peuple tout entier. Comment elle les modifie, quels effets elle a sur le langage de chacun et de l’écrivain en particulier, sur ce langage qui lui sert à appréhender le monde, à tenter de le comprendre, à en saisir toute la complexité. Littérature et trauma, trauma dans son étymologie renvoie à blessure, à dommage, à désastre, à déroute ; et traumatique dans son sens premier signifie efficace, contre les blessures. Quelle est la tâche de la poésie au sens le plus large de la littérature devant la catastrophe ? Est-ce que c’est guérir, consoler, mettre à nu et creuser les blessures, se dresser contre le silence, le mensonge ? Voilà quelques unes des questions à poser ce soir. Puis elle évoque l’Israélien Aaron Appelfeld, un écrivain Israélien qu’elle aime particulièrement dit-elle et qu’elle cite : « une blessure écoute toujours plus finement qu’une oreille. »

Magda El Guindi dit sans rire que Yasmina Khadra a « opté pour ce nom et nous savons tous pourquoi, pour fuir la censure militaire. » Celui-ci est le premier auteur à intervenir.

Chaque auteur a été invité à lire un texte qu’il a spécialement préparé pour cette rencontre. L’Africain du Sud BRINK a évoqué sa relation au régime de l’Apartheid, Wei-WEI la Chinoise a parlé de sa découverte de la langue française qu’elle a épousée, découverte qu’ellle a réalisée au sein d’un système politique dictatorial. Yasmina Khadra l’Algérien a éludé sa relation au régime Algérien. Il dénoncera « la violence salafiste après la violence colonialiste » mais dénoncera avec lyrisme les violences internationales plus lointaines et moins engageantes. Ca mange pas d'pain.

BRINK a dit que « les auteurs blancs d’Afrique du Sud portent le lourd fardeau de l’histoire de leur pays ». Afin qu’il ne se couvre pas de ridicule, j’ai évité de poser la question suivante à Khadra : « Mr BRINK a dit à propos des auteurs blancs qu’ils portent un fardeau… ; et vous, ne portez-vous pas le fardeau de votre très longue expérience au sein de l’armée algérienne (plus de trente années à son service), connaissant le rôle que celle-ci joue en Algérie jusqu’à nos jours ? ». Je ne la lui ai pas posée.

Voici des extraits de son discours. « Bonjour, c’était pas prévu que je commence le premier, mais c’est pas grave. Mais je ne veux pas parler de la guerre. Je veux parler surtout de la mémoire. Je vais vous lire le texte que j’ai écrit et que je n’ai pas eu le temps de relire. Je dois m’excuser des lapsus qui vont jalonner cette lecture. Je vais vous livrer un secret de polichinelle : je ne sais pas lire, donc soyez indulgents avec moi.

La mémoire, fracture ouverte ou cicatrice, rappel à l’ordre ou bombe à retardement ? pour moi la mémoire est d’abord une arme à double tranchant, tantôt recueillement, tantôt couteau dans la plaie. Elle entretient le traumatisme subi, de cette façon elle n’est jamais sereine, elle reste toujours ambiguë. La solennité qu’elle impose n’atteint aucunement la douleur qui la nourrit. Que l’on érige des monuments à la mémoire des victimes ou que l’on dresse de simples plaques commémoratives c’est le besoin impérieux de perpétuer la souffrance qui supplante le reste. (…) L’éternel retour à la faute qui a jalonné l’histoire de l’humanité et qui continue de l’escorter vers de prochaines tragédies démontre toute l’inconsistance des cérémonies et des couronnes fleuries que l’on dépose dans un silence inspiré, au pied des stèles et sur les tombes. Les hommes n’ont jamais su s’élever à hauteur des sacrifices consentis, incapables de résister à l’appel des tentations les plus dégradantes. Le sermon scellé dans de tonitruants « plus jamais ça ! », les promesses faites pour une sortie immédiate des drames les plus fous comme des flammèches, s’éteignent dans le souffle des pages que l’on tourne. Notre histoire n’est-elle pas le remake incessant de notre inaptitude à nous instruire ? Ne sommes-nous pas par excellence des cancres impénitents des champs de bataille et des arènes multiples ? Le tord d’hier n’est-il pas le tord d’aujourd’hui ? et les guerres d’aujourd’hui ne s’inspirent-elles pas des guerres d’antan pour exceller devant l’art de nuire et de détruire ? Je viens de la guerre. J’ai encore les cris du malheur dans les oreilles et ses atrocités plein les yeux. Il me suffit de baisser les paupières pour retrouver intactes les horreurs cauchemardesques à peine entrevues sur les terres de rêve et de charniers. Avec le recul l’infamie n’en devient que plus épouvantable, quant aux blessures elles dépassent l’entendement. Après la peine et le chagrin, restons au plus profond de l’être. Une colère que l’on devine inextinguible. Ainsi s’emportent les drames et se renouvellent les représailles. A quoi sert la mémoire si elle n’aide pas les mentalités à se réajuster, les esprits à bonifier avec le temps, et l’humanité à avancer vers son propre salut ? Jean-Jacques Rousseau définissait l’animal comme étant une créature dont la souffrance se limite à sa propre douleur. Je vois l’homme beaucoup plus proche de cette définition, il subit, se surpasse pour recouvrer la liberté, consent tout sacrifice pour mettre fin à une guerre qu’il estime injuste. Ensuite, rescapé il va se recueillir sur les tombes de ceux qui n’ont pas eu la chance de s’en sortir et les oublier au détour d’autres engagements, d’autres perspectives, d’autres projets ou d’autres obsessions. Certes il lui arrive une fois par an de retourner se recueillir auprès des monuments aux morts ne serait-ce que pour rappeler à son bon souvenir l’état de sa survivance. Mais ni les larmes versées, ni les silences observés ne sauveraient vraiment son âme. Il sait qu’à l’instant où il conjure ses vieux démons, d’autres gens sont entrain d’élever les leurs dans une frénésie qui fait froid dans le dos. Nous n’avons pas fini de faire le deuil de ces millions de personnes massacrées lors de la dernière guerre mondiale, de nous remettre de l’extrême barbarie qui a transformé de paisibles citoyens en cheptel pestiféré, juste bons à se décomposer dans d’invraisemblables camps de la mort, de croire pleinement que des êtres humains ayant aimé Mozart et l’ensemble des arts, capables d’enfermer leurs semblables dans des fours crématoires et des chambres à gaz en rigolant, que d’autres tueries massives, d’autres barbaries, d’autres épurations ethniques s’opèrent en toute impunité à travers la planète au vu et au su de toutes les bonnes consciences sans que cela les offusque. Que dire des traumatismes d’hier sinon les traumatismes d’aujourd’hui ? Que dire des lâchetés d’aujourd’hui sinon qu’elles ont de qui tenir. Alors cette mémoire, urne funèbre ou boite de pandore ? (...) En vérité cette commémoration nous stigmatise, ravive nos fantômes et nos blessures, sans pour autant nous armer véritablement contre les dérives similaires qui gravitent telles des vautours autour de nos hypothétiques quiétudes. Les Attila et les Tamerlan, reviennent régulièrement avec les générations. Les démons sont constamment à l’affût de nos moindres fléchissements pour nous porter l’estocade. Ce qui épouvantait les peuples, les fascine aujourd’hui. (…) Tous les jours, confortablement installés dans nos salons, un verre dans le nez ou à la main en attendant de passer à table le soir, nous nous abreuvons aux sources de l’horreur sans rupture ni détourner les yeux. La télé est là pour nous raconter avec les images chocs la farouche détermination des hommes à supplanter les démons : attentats insoutenables, exécutions sommaires, assassinats en direct, égorgements, décapitations, bombardements, villes défigurées par la violence, d’autres, martyrisées par les misères, pays de famine et d’ expéditions punitives, cohortes de mercenaires progressant inexorablement sur des peuplades infirmes, racisme devenu un standing social et moral, antisémitisme de honte et fier de notre ignominie. Et la peur, cette éternelle marâtre de toutes nos infortunes, toujours en faction depuis la nuit des temps, immuable et incommensurable, arborant ses affres qui n’ont pas pris une ride depuis les premiers crimes de l’humanité. Et nous assistons à cela avec un détachement sidérant. Les énormités comme monstruosités relevant désormais de la plus grasse des banalités. Quelle indignation pour quel refus, quel refus pour quelle mémoire, quel souvenir pour quelle vigilance ? Quel repentir pour quelle rédemption ? Quand on voit avec quel ferveur certains jeunes se proclament de ceux-là même qui ont martyrisé, humilié, massacré leurs propres grands parents et dévasté et leur vie et leur stèle ; quand on voit avec quel enthousiasme certains jeunes cherchent à s’identifier aux bourreaux de leur famille et de leurs histoires ; quand on voit avec quelle passion certains jeunes se réclament d’Adolf Hitler, de Staline, de Mussolini, l’on se demande si la mémoire n’était pas aussi le recyclage par excellence de nos bêtises et de nos frustrations profondes. Chaque pays chaque place chaque coin perdu, nous raconte et nous ne l’écoutons que d’une seule oreille, prêtant volontiers l’autre aux chants des sirènes à croire que l’homme est venu au monde exclusivement pour subir et faire subir et que tout compte fait il ne se reconnaîtrait que dans ce qu’il a de pire. C’est à cette fâcheuse tendance à ravitailler en permanence les bûchers de ses rêves. Tour à tour artisan de son malheur et de son salut il continuera de se méfier de tout ce qui ne le fait pas souffrir. Verdun, Dien Bien Phu, Guernica, la Shoah, le mur de la honte, le mur de la discorde en Palestine, Rwanda, la guerre des Balkans, l’Irak un et deux, la Tchétchénie, le Darfour, le Vietnam, Pol Pot, Staline, Beria, Sétif 45, guerre d’Algérie version colons, guerre d’Algérie version salafiste, cartel de Medellin, Afghanistan, Talibans, Bush, boucherie, l’ordre tellement identique, tellement misérable, tellement stupide que l’ordre chronologique abdique devant l’intenable ressemblance du gâchis. Une paix pour envisager à tête reposée la guerre, la guerre pour réclamer la paix, puis la paix puis la guerre jusqu’à ce qu’apocalypse s’en suive. La mémoire pour quel passé, pour quel devenir ?

La mémoire un repère a redéfinir, une leçon à retenir, une prière à exaucer, une peine à proscrire, la mémoire simplement la preuve que nous n’avons jamais rien compris à la chance d’être en vie, à la chance d’aimer et d’être aimer. »

Je reprends ici les commentaires qu’a donnés Yasmina Khadra à la suite de questions qui lui ont été posées.


La littérature est le dernier salut qui reste à l’humanité. Nous sommes entrain d’assister à l’invasion dévastatrice de la télé, de la désinformation, de la manipulation politique. Le seul endroit où un homme pourrait rester libre c’est le livre. Si le livre se charge de la mémoire peut être qu’il est capable de lui donner un sens. Pour moi la littérature c’est d’abord la thérapie de la banalité, c’est la thérapie de la réalité, et donc à travers les livres on peut comprendre, on peut devenir un peu plus tolérant, un peu plus attentif aux autres. Mais je ne sais pas si le livre est capable de rester ce meilleur compagnon de l’homme. That is the question. Je ne sais pas, moi j’écris que je suis très heureux d’avoir la chance d’être éduqué, mais ne je suis quelque part au sein d’une minorité et la mémoire ne peut pas survivre à une minorité.


Moi je pense que l’homme a inventé la langue pour dire et ses bêtises et son génie. Tout peut se dire dans toutes les langues. Ce n’est pas le français ou l’arabe ou le chinois qui décide de quelle manière on peut s’exprimer ou raconter une histoire. Moi je rêvais d’être poète, en arabe. Je suis un arabisant de formation, toutes mes études je les ai faites en arabe, même mes études supérieures militaires. Je voulais devenir un poète parce que pour moi la littérature ce n’est pas une question de langue c’est une question de verbe et dans la poésie c’est le verbe arabe qui est au summum, c’est l’octave supérieure de l’écriture. Moi je ne peux pas imaginer un poète Chinois ou Américain plus fort qu’un poète Arabe, je ne peux pas le concevoir. J’ai découvert aussi, lorsque j’avais décidé de devenir romancier, je crois que la langue qui se prête le mieux, la langue magnifique du roman, c’est la langue française. Comme j’avais des ambitions j’ai choisi la langue française. J’aime cette langue. Au début quand j’ai présenté mes poèmes à mes professeurs d’arabe c’était l’humiliation, et quand j’ai découvert Albert Camus ça a été le choc de ma vie. Ce qui est extraordinaire c’est que j’ai trouvé à travers la langue d’Albert Camus, qu’on peut être simple, transparent et capable de rendre accessible à tous, la complexité des êtres et des choses. Et je crois que la langue française se prête parfaitement à cette aspiration, à cette ambition.


En réponse à une question sur le rapport de la violence et du sacré Khadra répond : Je suis musulman pratiquant et je ne crois pas que la violence relève du sacré. La violence relève du diable et le dieu qui parle de violence est un diable. La violence est ce qu’il y a de plus bestial chez l’homme. J’ai dit dans ‘‘L’attentat’’ que si on veut accéder à la maturité il faut s’imposer cette formule, ‘‘ il n’y a rien au-dessus de ta vie et ta vie n’est pas au-dessus de celle des autres.


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