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mardi, août 26, 2008

108- «Les enfants d’Ayye» dernier roman de Fatéma Bakhaï


Le Quotidien d Oran Mardi 26 aout 2008

«Les enfants d’Ayye» dernier roman de Fatéma Bakhaï : Une histoire dont vous êtes le premier personnage!

par K. D.
Rares sont les moments où la production littéraire algérienne suspend son malaise, ses thématiques identitaires ou d’errance, et restitue au lecteur ce qu’il attend de tout bon livre : le plaisir du texte.

Le second volet de «Izuran» de Fatéma Bakhaï, renoue avec l’épisode manquant d’une littérature algérienne lisible par et pour tous, avec une histoire qu’on ne peut interrompre car commençant aux origines et se déroulant encore sous nos yeux. Publié il y a deux ans presque, «Izuran», (Racines en tamazight) aurait dû faire date dans la production littéraire algérienne. Non pas à cause de son style simple, humain, agréable comme le débit d’un conte universel, mais de son ambition fantastique de raconter l’histoire de l’Algérie à partir des nuits obscures de ses commencements et peut-être, un jour, jusqu’au moment où vous fermez le livre. L’ambition surprend un peu et pourtant cette «histoire» est déjà là comme une sorte de roman des origines, selon un cliché des analystes universitaires: cela commence avec la figure d’une féminité sans nom, aux premières pages de «Izuran» et jusqu’à la chute de Carthage et l’arrivée des premiers chevaliers arabes, apportant le nouveau credo, la nouvelle orthodoxie qui fera les splendeurs de cette terre et, au présent, ses misères de malentendus. Le livre est passionnant mais «Izuran» n’avait pas trouvé l’énorme écho attendu auprès du public par défaut de forte médiatisation et parce que la machine de promotion dans les cercles littéraires algériens fonctionne encore selon des critères de proximité, de copinage et de parrainages ciblés. Un auteur qui écrit des histoires selon l’antique mode du troubadour n’y possède aucune visibilité possible face aux polémistes, aux caciques des chapelles et aux producteurs de sens institutionnalisés. L’autre malentendu viendrait peut-être de cet amalgame entre ethnicisme et culturalisme qui prévaut lorsqu’on parle de racines, avec en surcroît, un choix de titres en amazigh pour un auteur qui revendique son algériannité et qui ne fait partie ni des «kabylismes» culturalistes, ni des cercles militantismes, ni des fervents du régionalisme primaire, mais seulement porteur d’une nationalité assumée avec ses entrées multiples. On en devine que mieux les difficultés de l’auteur à parler de l’histoire de cette terre sans se faire piéger par ses géographies mentales en concurrence. «Les enfants d’Ayye», cette ancêtre femme de tous les Algériens, est donc le second volume de cette saga, reprenant l’histoire de cette terre à partir du moment de l’arrivée des conquérants arabes, racontée avec un doigté superbement intelligent pour éviter au roman sa mise sous chapelle, et jusqu’à celui, encore plus traumatisant, de la chute de Grenade. La technique de ce roman «historique», selon les critères du genre ayant été de restituer ce passé au détail près, avec un défilé de personnages historiques marquants, vue par des personnages secondaires imaginaires mais porteurs des lourdes réalités de cette époque, ses habits, ses signes, ses préjugés. Le résultat en sera une histoire étonnement vivante, animée, capable de captiver le lecteur enfant et celui adulte en mal d’origines décryptées et libérées des mises en camisoles politiques et identitaires. Et curieusement ce sont ces personnages qui séduisent le plus dans ce roman, car incarnant des types de société et de culture dont on retrouve aujourd’hui les traces dans la société algérienne, ses clichés, ses comportements et ses préjugés. La montée du puritanisme militaro-religieux n’est pas une nouveauté pour l’Algérie, ni ses frictions frontalières, ni ses comportements de rejet/cloisonnement face aux immigrés andalous chassés de leurs terres, ni ses cuisines et ses rites culinaires, ni ses comportements sociaux les plus profonds. Tout est dans cette histoire que ne se raconte pas l’Algérie, ni officiellement, ni dans les manuels scolaires, ni même dans sa production littéraire piégée par une fausse contemporanéité abusive.

Dans «Les enfants d’Ayye», une sorte de généalogie habile fait «descendre» les générations les unes des autres, sous l’angle de drame de personnages typiques: Doria la dernière chrétienne, Hassan, la première génération de musulmans, le juif maghrébin disparu, Yazid l’auteur des lettres qui font découvrir au lecteur la Cordoue d’autrefois, les artisans visionnaires, les premiers guerriers des royaumes algériens disparus, les haines familiales, les fanatiques d’autrefois et les discrets, amoureux de retrouver Tlemcen ou en partance vers l’Orient. Le lecteur en retiendra l’époustouflant souffle, la narration captivant et surtout, comme l’affirmeront beaucoup, le sentiment d’être réconcilié avec ce passé dérobé pour causes de rigueur politique castratrice. La lecture de «Les enfants d’Ayye» ne laisse pas indifférent dans ce sens où elle permet, tout bonnement, de comprendre un peu son présent et ce, pourquoi nous traînons, comme des interrogations dans solutions, les mêmes situations que nos ancêtres. Cela permet de redécouvrir l’histoire des villes, celles des comportements et repenser l’appartenance à cette terre autrement que sous la formule de l’accident biologique et les cycles invasion/résitance. L’Algérie et le Maghreb dans son entier ayant une histoire, elle attend en quelque sorte de revivre sous la forme la plus ancienne et la plus puissante qui soit depuis toujours: le conte de nos origines, comme le faisaient les tribus d’autrefois, autour des grands feux, tournant le dos à la nuit obscure et ses angoisses pour mieux scruter l’avenir. «L’histoire de mes ancêtres n’intéresse sans doute que moi. Les autres descendants ne veulent pas la connaître. Cette histoire les gêne. Elle les oblige à se regarder sous un angle... qui les dérange!», annonce un préambule anonyme au roman. Cela explique peut-être pourquoi «Izuran» a été accueilli en silence et pourquoi «Les enfants d’Ayye» doit être absolument lu.



«Les enfants d’Ayye»
Ed: Dar El-Gharb», 345 pages
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