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dimanche, avril 20, 2008

80- Un site de discussion: Autour de Boualem SANSAL

j'ai créé il y a quelques minutes ce site de discussion intitulé "Autour de Boualem SANSAL":

l'adresse:

http://fr.groups.yahoo.com/group/boualemsansal/

79- Germaine TILLON


Je considérais les obligations de ma profession d'ethnologue comparables à celles des avocats, avec la différence qu'elle me contraignait à défendre une population au lieu d'une personne."


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El Watan dimanche 20 avril 2008

Décès de l’ethnologue et résistante Germaine Tillion
La pourfendeuse du colonialisme tire sa révérence

L’ethnologue et résistante Germaine Tillion, qui a pris fait et cause pour la justice durant la guerre de Libération nationale en dénonçant notamment la torture, est décédée hier à l’âge de 101 ans.

Née le 30 mai 1907 à Allègre (Haute-Loire) dans une famille d’intellectuels, Germain Tillion a été l’élève de Marcel Mauss, sociologue et ethnologue qui transmettait à ses étudiants une éthique de l’enquête et une méthode de travail non dogmatique. Cette femme, qui a su mener dans un même mouvement action et réflexion, s’est distinguée, dès 1934, par son engagement contre le nazisme et contre l’injustice et les pratiques coloniales qu’elle avait constatées en Algérie. La vie de celle qui avait pris fait et cause pour la justice en condamnant les exactions du colonisateur français lors de la guerre de Libération nationale et, notamment la torture, est, rappelle l’APS qui a rapporté l’information, émaillée de parcours algériens qu’elle décrit à travers ses nombreux ouvrages. Sa première mission dans les Aurès lui a permis d’aller à la rencontre d’un peuple chaleureux et hospitalier malgré ses conditions de vie difficiles et sa paupérisation dues à la colonisation. Entre novembre 1954 et février 1955, Germaine Tillion est chargée d’enquêter sur « les réalités algériennes ». Ces réalités découlaient d’un système juridique corollaire du code de l’indigénat mis en place par la loi du 26 juin 1881. Il marginalisait les Algériens sur leur propre sol. « Quand j’ai retrouvé les Auressiens, entre novembre 1954 et février 1955, j’ai été atterrée par le changement survenu chez eux en 15 ans et que je ne puis exprimer que par ce mot ‘‘clochardisation’’ », révèle-t-elle. Germaine Tillion dénoncera la déportation des populations algériennes et l’utilisation du napalm par l’armée coloniale. L’autre action qu’elle a réalisée est sa décision de créer des centres sociaux (120 construits sur l’ensemble du territoire accueillant chacun 2000 personnes). Entre mars 1957 et juin 1959, des membres de ces centres sont arrêtés et torturés par l’armée coloniale avant d’être libérés faute de qualifications fondées. En mars 1962, l’organisation criminelle OAS assassine les responsables de ces centres sociaux : « Mouloud Feraoun, dans les jours les plus noirs, il continuait à espérer que le bon sens serait finalement plus fort que la bêtise. Et la bêtise, la féroce bêtise l’a tué. Non pas tué : assassiné, froidement, délibérément », cria alors l’ethnologue. En juin 1957, Germain Tillion revient en Algérie avec une commission internationale pour visiter les camps et les prisons coloniaux en Algérie. Ce qu’elle découvre dépasse son entendement et elle le condamne fermement. « Ce qui se passe sous mes yeux est une évidence : il y a, à ce moment-là, en 1957, des pratiques qui furent celles du nazisme. Le nazisme que j’ai exécré et que j’ai combattu de tout mon cœur... », écrivait-elle. Dans Ennemis complémentaires, livre publié pour la première fois en 1960 et réédité en 2005, Germaine Fillon rapporte les récits de ses rencontres avec Yacef Saâdi et Zohra Drif. Le harem et les cousins (1966), L’Algérie en 1957 (1957), L’Afrique bascule dans l’avenir (1999), des écrits sur l’Algérie, ou A la recherche du vrai et du juste (2001), entre autres ouvrages de Germaine Tillion qui reflètent ses engagements poursuivis autrement après l’indépendance du pays. Jusqu’à 1980, l’Algérie et le Maghreb resteront dans la recherche scientifique à travers ses productions et l’aide apportée aux étudiants venant de cette partie du monde. En 2000, elle a signé « l’Appel » lancé pour que soit reconnue et condamnée officiellement la pratique de la torture pendant la guerre de Libération nationale.

A. Z.
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Le Quotidien d'Oran, lundi 05 mai 2008
Mort de Germaine Tillon Une grande figure de l’ethnologie nord-africaine nous a quittés par Nadir Marouf *

Je sais que quelques papiers ont paru dans des quotidiens nationaux pour faire part de la disparition de Germaine Tillon. J’aimerais, si ce n’est pas trop tard, y apporter ma contribution. Avec le départ de cette figure emblématique de l’ethnologie nord-africaine et surtout algérienne, c’est tout un pan de l’histoire sociale et de l’aventure coloniale qui s’en va avec elle.
Née en 1906 (seul Claude Lévi-Strauss né à la même date reste encore vivant de nos jours parmi les anthorpologues francophones), elle a pu jouer un double rôle, celui de militante agissant pour la promotion et l’émancipation des opprimés, et celui de femme de science, mettant en évidence un certain nombre de phénomènes de société que l’orientalisme ambiant du début du 20ème siècle a eu tendance à occulter. Concernant son premier rôle, n’oublions pas qu’elle comptait parmi les résistants français face à l’occupation nazie et qu’à ce titre, elle avait fait partie du contingent des déportés dans les camps de concentration dont elle sortira par miracle. Quant à son attitude face à l’occupation coloniale, notamment en Algérie, elle s’est toujours rangée du côté du peuple sans faire montre d’un activisme besogneux. En 1957, elle avait été à l’origine du service des centres sociaux (CSE) en Algérie dans le cadre d’une mission dont elle avait été chargée par une Commission Internationale d’enquête sur les Régimes Concentrationnaires. Cette mesure initiée par l’Unesco, avait déjà été appliquée en Amérique Latine. Il s’agissait de mettre en place des structures rattachées à l’Education Nationale et ayant pour objet l’alphabétisation et l’apprentissage au bénéfice des enfants et adolescents vivant, soit en milieu rural, soit en zones suburbaines deshéritées. Cette initiative pédagogique a été menée conjointement à une enquête sur la torture dans les camps et dans les prisons en Algérie, dont Germaine Tillon était également chargée. Elle a d’autant plus accepté une telle mission qu’elle avait elle-même, en tant que résistante, vécu les affres de la déportation dans le camp de Ravensbrück. Cette enquête lui a permis d’entrer en contact clandestinement avec le FLN qui lui a fait rencontrer dans une maison de la Casbah d’Alger, Zohra Drif, Yacef Saadi, Ali la Pointe, et Fatiha Bouhired, qui lui firent un compte-rendu détaillé de la pratique de la torture. Notre ethnologue missionnaire tenait à relier ainsi la réalité prosaïque d’alors et l’oeuvre d’émancipation par l’éducation, la formation et la santé, trois maîtres-mots qui exprimaient la tâche des centres sociaux d’éducation et qui devaient servir d’antidote à l’action répressive. Ces centres, abrités par l’institution éducative, étaient répartis partout en Algérie. Il va de soi qu’un tel dispositif ne pouvait passer inaperçu, et les Ultras vont veiller au grain dès les débuts de sa fondation.
Sid Ahmed Dendane, ancien instituteur, lui-même affecté à l’antenne du CSE de Valmy (près d’Oran), raconte les violences menées tambour battant contre ces centres dans un livre autobiographique publié dans une collection que je dirige aux éditions L’Harmattan et que j’ai eu l’honneur de préfacer («Chronique d’un citoyen ordinaire», Cahiers du CEFRESS, L’Harmattan, 2001). Voici quelques extraits de son témoignage :
«Parceque cherchant l’amélioration du niveau de vie des populations musulmanes deshéritées et analphabètes à 80% en 1955, les CSE ont été ciblés dès leur création et désignés à la vindicte des militaires professionnels français venus d’Indochine après leur échec au Vietnam, et des Pieds-Noirs, patisans enragés de l’Algérie française. «Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver», disait un responsable. (p.100)... En février 1957, parmi les 120 membres des CSE, 16 arrestations sont opérées : cinq femmes et onzes hommes. Cette même année à Alger, le Général Massu, qui a les pleins pouvoirs, envoie une note secrète datée du 10 mars 1957 et qui vise à démanteler les CSE... Dans le rapport de Faulques, Chef du Service de Renseignement du premier RP, il est dit : «Il s’agit des Centres Sociaux parmi lesquels ont trouve un type de progressistes laïques ou confessionnels, très répendu et très actif. Les stages de d’El-Riath semblent avoir été particulièrement nocifs. La collusion avec le FLN de certains européens d’Algérie est mise à jour.».
En mai-juin 1959, 20 membres des CSE sont arrêtés. L’Echo d’Alger du 10 juillet 1959 annonce à la Une : «Développant son activité dans les centres sociaux de la région d’Alger, un réseau FLN dirigé de métropole est détruit par Alger-Sahel : 802 arrestations, armement saisi, atelier de bombes découvert.» (p.101) ... Les calomnies proférées par les factieux et leur défenseurs au cours du procès des barricades, ont eu comme suite logique les pérsécutions contre tous les membres du CSE , et comme objectif final, l’assassinat collectif de leurs principaux chefs, le 15 mars.» (p.103)».
Cette offensive, préparée par un battage médiatique sur de prétendues collusions du CSE avec le FLN, aboutira, comme on sait, à l’assassinat perpétré par un groupe OAS, sous la direction du tristement célèbre Lieutenant Degueldre (1), des six inspecteurs d’Académie qui se sont rencontrés dans une réunion fédérale du CSE à Ben-Aknoun, le 15 mars 1961. Il s’agit de Max Marchand, Mouloud Feraoun, Ali Hamouten, Salah Ould-Aoudia, Marcel Basset et Aymart.
Quant au rôle scientifique, voire éthique tout à la fois, Germaine Tillon s’en est acquitté de manière exemplaire sur deux terrains distincts :
Celui de la segmentarité berbère, manipulée à satiété par l’ethnologie coloniale, et dont le but inavoué était de contrôler les soubresauts d’un peuple dont les manifestations locales oscillaient entre des «violences rituelles» et l’envie d’en découdre avec l’occupant. Ainsi l’épisode de Grine Belkacem (à ne pas confondre avec Krim Belkacem), bandit d’honneur de la dernière heure, qui avait fait parler de lui dans les Aurès à la veille du déclenchement de la Révolution, et que la Direction des Affaires Indigènes du Gouvernement Général de l’époque voulait assimiler à une vieille réplique de type dualiste entre çoff et leff. Il faut rappeler à cet effet que le père de la théorie segmentaire (qui consiste à analyser une communauté locale à partir d’organisations dualistes «primaires») fut Roberston Smith. Ce dernier a essentiellement travaillé sur le monde sémitique (les arabes d’Orient). Emile Durkheim s’en est abondamment inspiré sans citer ses sources, ce qui est assez étonnant pour le père fondateur de la sociologie française. Tel ne fut pas le cas en revanche de Sigmund Freud qui révela au monde cet historien des religions, notamment dans un ouvrage fondateur («Totem et Tabou») où le psychanalyste viennois reprend la figure symbolique de la «horde primitive» et de «l’assassinat du père» à partir des travaux de Roberston Smith, puis beaucoup plus tard, dans un ouvrage publié à titre posthume (1939) intitulé «Moïse ou l’origine du monothéisme». L’usage que les orientalistes font de la segmentarité en milieu berbère, en s’inspirant de la version durkheimiènne, donc d’une référence de seconde main, consiste à accréditer l’idée d’une spécificité berbère que l’islamisation d’origine arabe n’a que peu affectée. Toute l’ethnologie religieuse Nord-Africaine (à l’exception de Jacques Berque et de son prédecesseur Louis Massignon qui travaillaient sur la sociologie de l’Islam) mettait alors l’accent sur les pratiques syncrétiques dont l’effet est d’atténuer l’impact de l’Islam (par déduction, de la civilisation arabe) et de surfaire les pratiques folkloriques (maraboutisme, sorcellerie, et autres pratiques mâtinées de rituels païens). Il suffit de se reporter à quelques travaux du genre publiés durant l’entre-deux-guerres comme ceux de J.Desparmet, A. Joly, E. Doutté, A. Bel, E. Dermengheim, etc. Une tentative relativement récente (1988) d’un anthropologue marocain, Abdallah Hammoudi, de restituer le rituel de ‘Achoura dans un village berbère de l’Atlas marocain («La victime et son masque»), consiste à souligner l’importance significative, notamment pour les enjeux sociaux contemporains, de ces institutions séculaires, tout en rejetant l’hypothèse longtemps dominante d’une influence saturnienne héritée de l’Empire Romain. A l’opposé de cette heureuse mise au point, on se souvient des «Portes de l’année» de Jean Servier chez qui le rituel du premier sillon inaugurant les labours en Kabylie et confié pour la circonstance au doyen du village, n’est rien d’autre qu’une influence du culte d’Athéna voué aux initiés d’Eleusis à l’entrée des «Grands Mystères». Une telle posture, où tout ce qui respire vient de l’Est comme le soleil levant, c’est à dire des Hellènes (nous retrouvons ces stigmates par ailleurs avec l’historiographie arabe qui fait venir les Berbères du Yémen, les Touaregs des Garamantes d’Egypte) est décodée par l’idéologie coloniale sur le thème de la primogéniture : le peuple berbère aurait été romanisé (voire «byzantinisé») avant d’être arabisé, en vertu de quoi la France impériale, fille aînée de l’Eglise, ne fait que recouvrer des droits légitimes fondés sur le principe d’antériorité. L’ethnologie Nord-Africaine en tant que telle n’est pas responsable de ces déductions idéologiques, sauf pour quelques ethnologues qui s’en sont prêtés de bonne grâce, mais le fait est là.
C’est dans ce contexte particulier, notamment celui qui campe la première moitié du 20ème siècle en Algérie, que Germaine Tillon a fait montre d’une vigilance salutaire. Elle ne s’est nullement laissée fourvoyer dans des missions que le gouvernement général, et dans une certaine mesure le Musée de l’Homme à Paris, tenaient pour stratégiques, et au regard desquelles les crédits de recherche étaient on ne peut plus généreux, tout comme pour l’archéologie antique, la préhistoire et la paléontologie.
L’autre versant des recherches qui immortalisera Germaine Tillon, c’est sans doute, à côté de ses travaux sur la parenté touareg, ceux qu’elle consacre à la tradition népotique méditérranéenne dont l’Algérie fait partie («Le Harem et les cousins») d’une part, et le rapport au sexe et surtout aux classes d’âges au sein de la famille élargie («Les belles-mères contre les filles»). Ces travaux, relativement récents, de Germaine Tillon, ont inspiré de nombreuses thèses tout à fait originales. La démarche globale consiste à sortir des sentiers battus de la femme éternellement sequestrée par l’ordre masculin. Certes, cette disgrâce est réelle dans l’épisode de jouvence et de statut d’épouse. Là, l’univers carcéral féminin est patent : le mari est aux champs, à la mosquée ou au café maure avec les copains. L’épouse ne tient cette fonction que de son rôle de génitrice dans l’intimité du lit conjugal. Pour le reste, la segrégation d’avec le mari la met face aux autres membres de la ‘Aïla, et notamment face à la belle-mère, gardienne du temple. On peut même imaginer (et certains l’ont fait) que sur les rives méridionales de la méditerrannée, l’épouse esseulée fabrique un confident, lui, accessible : son bébé mâle. Le répertoire des berceuses est truffé de ses complaintes amoureuses de la mère pour son enfant, à qui elle raconte son infortune. On pourrait même se hasarder - n’en déplaise aux canons d’une psychanalyse coulée dans le marbre - à dire que c’est Jocaste qui a fabriqué Oedipe. D’ailleurs, un universitaire tunisien a mis en évidence ce qu’on pourra appeler le complexe de Jawdar (alias Jocaste, mère d’Oedipe). Bref, tout cela est riche en interrogations, à partir de l’expérience maghrébine pour le moins. Germaine Tillon n’a nullement suggeré aux jeunes chercheurs de travailler dans le sens de cette inversion du paradigme freudien, mais elle en a été indirectement l’inspiratrice.
Le paradoxe relevé, en revanche, par Germaine Tillon, est celui du passage du statut d’épouse à celui de mère et de grand-mère, après avoir été réduite à sa fonction utérine, elle aspire enfin à la consécration des madones sacrées. Le fils aîné se mariant à son tour, met ainsi sa mère sur un pied d’estale. Elle jouera le rôle de belle-mère auprès de la bru avec le même zèle dont elle avait elle-même été l’objet, et comme par amnésie, elle ne tirera aucune conséquence de sa propre disgrâce passée. La boucle est bouclée. On en retiendra que le machisme imputé exclusivement aux hommes est quelque part conforté par les mères de ces derniers. Elles seraient à ce titre les principales barrières à l’émancipation des femmes et à la démocratisation de la vie du couple. C’est là une conclusion rédhibitoire pour la famille musulmane, voire méditerranéenne. Bien sûr les choses bougent, et on ne fera jamais assez de monographies susceptibles de déceler des contre-tendances du verdict de Tillon. Les conclusions de cette dernière n’étaient du reste tirées que des enquêtes locales qu’elle avait pu mener elle-même à son époque.
En tout cas, elle a ouvert un débat qui est loin d’être clos aujourd’hui pour tous ceux qui travaillent sur la sociologie de la famille.
Que l’on soit pour ou que l’on soit contre la thèse de cette grande dame, nous ne pouvons que la remercier d’avoir tout simplement existé.


* Professeur à l’Université d’Amiens

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1- Degueldre, né en 1925, en Belgique. Engagé volontaire dans la légion SS de Wallonie, il combat sur le front russe de l’armée allemande. Condamné à mort par les tribunaux belges, il parvient à s’échapper et à s’engager dans la Légion étrangère française. Il aurait été condamné pour avoir participé à des actions criminelles contre des résistants français à Charleroi en 1944. Il fera ses armes en Indochine, puis en Algérie en intégrant le régiment étranger de parachutistes. Nommé sous-lieutenant en 1958, il est promu en janvier 1961, Lieutenant, et décoré par le Général Massu, du grade de Chevalier de la Légion d’honneur. (Nous tenons ces infomations de l’ouvrage de S.A. Dendane, cité dans le corps du texte).


vendredi, avril 18, 2008

78- ... et Léopold Sédar SENGHOR

Léopold Sédar SENGHOR (1906-2001)

à Joal, au Sénégal, le 9 octobre 1906, Léopold Sédar Senghor fait ses études à la mission catholique de Ngasobil, au collège Libermann et au cours d'enseignement secondaire de Dakar, puis, à Paris, au lycée Louis-le-Grand et à la Sorbonne. Il est reçu à l'agrégation de grammaire en 1935.
Tout en enseignant les lettres et la grammaire au lycée Descartes à Tours (1935-1938), il suit les cours de linguistique négro-africaine de Lilias Homburger à l'École pratique des hautes études et ceux de Paul Rivet, de Marcel Mauss et de Marcel Cohen à l'Institut d'ethnologie de Paris. Nommé professeur au lycée Marcellin Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés en 1938, il est mobilisé en 1939 et fait prisonnier en juin 1940. Réformé pour maladie en janvier 1942, il participe à la Résistance dans le Front national universitaire. De 1944 jusqu'à l'indépendance du Sénégal, il occupe la chaire de langues et civilisation négro-africaines à l'École nationale de la France d'outre-mer.
L'année 1945 marque le début de sa carrière politique. Élu député du Sénégal, il est, par la suite, constamment réélu (1946, 1951, 1956). Membre de l'assemblée consultative du Conseil de l'Europe, il est, en outre, plusieurs fois délégué de la France à la conférence de l'UNESCO et à l'assemblée générale de l'ONU. Secrétaire d'État à la présidence du Conseil (cabinet Edgar Faure : 23 février 1955 - 24 janvier 1956), il devient maire de Thiès au Sénégal, en novembre 1956. Ministre-conseiller du gouvernement de la République française en juillet 1959, il est élu premier Président de la République du Sénégal, le 5 septembre 1960. Ses activités culturelles sont constantes : en 1966, se tient, à Dakar, le 1er Festival mondial des arts nègres. Réélu Président de la République en 1963, 1968, 1973, 1978, il se démet de ses fonctions le 31 décembre 1980.

Léopold Sédar Senghor est médaille d'or de la langue française ; grand prix international de poésie de la Société des poètes et artistes de France et de langue française (1963) ; médaille d'or du mérite poétique du prix international Dag Hammarskjoeld (1965) ; grand prix littéraire international Rouge et Vert (1966) ; prix de la Paix des libraires allemands (1968) ; prix littéraire de l'Académie internationale des arts et lettres de Rome (1969) ; grand prix international de poésie de la Biennale de Knokke-le-Zoute (1970) ; prix Guillaume Apollinaire (1974) ; prince en poésie 1977, décerné par l'association littéraire française L'Amitié par le livre ; prix Cino del Duca (1978) ; prix international du livre, attribué par le Comité international du livre (Communauté mondiale du livre, UNESCO, 1979) ; Prix pour ses activités culturelles en Afrique et ses œuvres pour la paix, décerné par le président Sadate (1980) ; médaille d'or de la CISAC (Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs) ; premier prix mondial Aasan ; prix Alfred de Vigny (1981) ; prix Athénaï, à Athènes (1985) ; prix international du Lion d'or, à Venise (1986) ; prix Louise Michel, à Paris (1986) ; prix du Mont-Saint-Michel, aux Rencontres poétiques de Bretagne (1986) ; prix Intercultura, à Rome (1987).

Il est docteur honoris causa de trente-sept universités, dont Paris-Sorbonne, Strasbourg, Louvain, Bordeaux, Harvard, Ifé, Oxford, Vienne, Montréal, Francfort, Yale, Meiji, Nancy, Bahia et Evora.
Il est membre correspondant de l'Académie bavaroise (1961) ; membre associé (étranger) de l'Académie des sciences morales et politiques (1969) ; membre (étranger) de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux ; membre (étranger) de l'Académie des sciences d'outre-mer (1971) ; membre (étranger) de The Black Academy of Arts and Letters (1973) ; membre (étranger) de l'Académie Mallarmé (1976) ; membre (étranger) de l'Académie du royaume du Maroc (1980).
Il est élu à l'Académie française, le 2 juin 1983, au fauteuil du duc de Lévis-Mirepoix (16e fauteuil).
Mort le 20 décembre 2001 (in :
http://www.academie-francaise.fr)

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77- Comment ne pas évoquer FANON en ces jours de départ de CESAIRE

"La violence qui a présidé à l'arrangement du monde colonial, qui a rythmé inlassablement la destruction des formes sociales indigènes, démoli sans restrictions les systèmes de références de l'économie, les modes d'apparence, d'habillement, sera revendiquée et assumée par le colonisé au moment où, décidant d'être l'histoire en actes, la masse colonisée s'engouffrera dans les villes interdites."

Frantz Fanon in "Les damnés de la terre"

Frantz Fanon est né à Fort-de-France le 20 juillet 1925. Médecin psychiatre, écrivain, combattant anti-colonialiste, Franz Fanon a marqué le XXe siècle par sa pensée et son action, en dépit d'une vie brève frappée par la maladie.

Franz Fanon fit ses études supérieures à la faculté de médecine de Lyon et fut nommé, en 1953, Médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Blida. Il avait déjà publié, en 1952, "Peaux noires, masques blancs". En 1956, deux ans après le déclenchement de la guerre de libération nationale en Algérie, Franz Fanon choisit son camp, celui des colonisés et des peuples opprimés. Il remet sa démission de son poste à l'hôpital et rejoint le Front de Libération Nationale (FLN) en Algérie.

Il eut d'importantes responsabilités au sein du FLN. Membre de la rédaction de son organe central, "El Moudjahid", il fut chargé de mission auprès de plusieurs états d'Afrique noire puis ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au Ghana. Il échappa à plusieurs attentats au Maroc et en Italie. Jusqu'à sa mort, Franz Fanon s'est donné sans limites à la cause des peuples opprimés.

Il s'éteint à Washington le 6 décembre 1961, à l'âge de 36 ans, des suites d'une leucémie et est inhumé au cimetière des Chouhadas de Tunis.

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Josie, épouse et complice

Ceux qui l’ont connue gardent d’elle l’image de la journaliste professionnelle qu’elle fut. Au fond d’elle-même comme en un jardin secret envahi par l’arborescence des jours, elle conservait intact dans le canope de sa mémoire le souvenir de l’ami, l’amant, l’époux que fut Frantz.

Parfois avec quelques-uns, anciens amis, connaissances du temps de la guerre, complice, elle évoquait à demi-mot un moment de joie, le nom d’un compagnon disparu. Josie était le témoin de Fanon, l’étudiant en médecine au début des années 1950, qui lui dictait en marchant « de long en large comme un orateur improvise » les chapitres de son premier livre Peau noire et masques blancs. Elle était la compagne qui l’a suivi quand il a été affecté comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville. La militante enfin qui s’est engagée, avec lui, sans hésitation aucune dans le combat pour la liberté, pour l’Algérie. Tout comme lui, Josie repose aujourd’hui sur cette terre, au cimetière d’El Kettar après sa tragique disparition. On comprendra que nous ne pouvions pas parler de lui sans dire des mots d’elle. Dans les lignes qui suivent, l’épouse, de coutume si peu prolixe sur son intimité familiale, livre quelques propos humbles, timides sur Frantz, son mari.En règle générale, je n’aime pas parler de ma vie privée et à plus forte raison de ma vie avec mon mari. C’est vraiment la première fois que j’aborderai ce sujet. On pense souvent à tort que les hommes qui par leur œuvre ou par leur action sont devenus célèbres se comportent dans la vie quotidienne différemment des autres mortels.

Je l’ai connu en 1949. J’avais 18 ans. Il en avait 23. Nous nous sommes mariés en 1952. Nous avons eu un enfant en 1955. Comme vous le savez, il est mort en 1961. Dans la vie quotidienne c’était un homme comme les autres. C’était un époux et un père très attentionné. Il a toujours fait en sorte que sa vie familiale reste un domaine privilégié et que ses activités professionnelles ou militantes n’empiètent pas sur ce domaine. Mon fils a eu une petite enfance très heureuse, ce qui est une garantie d’équilibre psychologique pour l’avenir. Je pourrai dire d’autres choses. Ce n’était pas un personnage austère. C’était quelqu’un qui aimait la vie sous toutes ses formes. Il aimait rire, il aimait la musique, il aimait danser. Il ne faut pas oublier qu’il était d’origine antillaise. Il avait le culte de l’amitié et des Algériens comme Omar et Boualem Oussedik, le commandant Azzedine et beaucoup d’autres pourraient vous parler de l’amitié qui les unissait à mon mari. D’une façon générale, bien sûr, je ne veux pas dire que ce n’était pas quelqu’un d’exceptionnel, mais pour moi, avec le recul du temps évidemment, il représente tout simplement ce que tout homme pris au sens large, tout homme ou toute femme, pouvait être. Tout le monde ne peut être psychiatre ou écrivain. Chacun dans le domaine qui est le sien peut sur le plan humain, sur le plan professionnel, un artisan par exemple, pousser jusqu’à des limites infinies les possibilités qu’il porte en lui ».

Extraits d’un entretien paru dans Révolution africaine. n° 1241 du 11 décembre 1987

http://www.algerie-dz.com/article907.html

jeudi, avril 17, 2008

76- Aimé Césaire est mort

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je
dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies,
humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des mots
en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.
Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de machines tordues d'un jujubier de chairs pourries d'un panier d'huîtres d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous contenir

et toi terre tendue terre saoule
terre grand sexe levé vers le soleil
terre grand délire de la mentule de Dieu
terre sauvage montée des resserres de la mer avec
dans la bouche une touffe de cécropies
terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à
la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en
guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des
hommes

Il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'en toi je découvre toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre.

Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle,car une mer de douleurs n'est pas un proscénium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »

AIME CESAIRE In: CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL Ed: Présence africaine.
MORT CE MATIN JEUDI 18 AVRIL 2008

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L'EXPRESS

jeudi 17 avril 2008, mis à jour à 15:10

Martinique

Hommage de Patrick Lozès et Louis-Georges Tin à Césaire

Propos recueillis par Aurélie Leone

Le poète antillais est décédé ce jeudi matin au CHU de Fort-de-France, à l'âge de 94 ans. Initiateur du concept de "négritude", il s'est de tout temps battu pour l'autonomie de la Martinique. Patrick Lozès et Louis-Georges Tin, respectivement président et porte-parole du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), reviennent sur l’héritage de cet ardent défenseur de l’émancipation noire.

Que représentait, pour vous, Aimé Césaire?
Patrick Lozès : Si je devais définir brièvement Aimé Césaire, je choisirais trois mots : nègre, universel et révolté. Nègre parce qu’il préférait ce mot qui bravait l’aliénation culturelle (Césaire a endossé l’insulte, "petit nègre", prononcée à son encontre par un automobiliste pour en faire un catalyseur de l’identité noire NDLR) et disait avec force une identité assumée, une conscience noire. Césaire a fait de la "négritude" un mouvement de résistance au racisme.

Universel, car Césaire avait tourné le dos au climat nationaliste qui régnait dans les années 1930 en Martinique pour adopter, au contraire, une posture extrêmement politique: il liait avec génie la population noire à un universel dont on avait longtemps essayé de l’exclure. En clair, Aimé Césaire a toujours refusé d'évincer les intellectuels blancs du combat identitaire des Noirs des Antilles ou d’Afrique. Pour lui, l’identité noire était universelle et non synonyme de clivage entre les hommes. C’est pourquoi certains penseurs blancs ont adhéré a sa pensée, à l'image de Jean-Paul Sartre qui déclarait : "La négritude est la négation de la négation de l’Homme noir".

Enfin, Aimé Césaire est un révolté. Contre le colonialisme français avant tout, car, même âgé, il a toujours refusé de cautionner toute justification de cette période de l’histoire. Je me souviens de son refus de recevoir, en 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Il entendait ainsi signifier son profond désaccord avec la lettre de la loi du 23 février 2005 qui "reconnaissant le rôle positif de la présence française outre-mer".

Louis-Georges Tin : Aimé Césaire est une figure essentielle de la lutte pour l’émancipation noire et un héraut du combat contre le colonialisme. Il est par ailleurs un écrivain de premier ordre qui habitait la fonction politique en homme de lettres. Et c’est justement la jonction de ces deux domaines qui me paraît tout à fait singulière et exceptionnelle chez cet homme.

En dépit de son éducation française, il semble bénéficier d'une plus large reconnaissance en Afrique et aux Antilles plutôt qu’en métropole...
Patrick Lozès
: Je suis d’accord avec ce constat. C’est un drame que la société française n’ait pas fait en sorte que cet immense poète, député pendant 47 ans, soit d’avantage reconnu. Cela dit bien comment la société française laisse de côté une certaine partie des ses enfants, y compris les plus brillants. Outre ses combats, son oeuvre littéraire foisonnante mérite également toute notre attention. Ses luttes font de lui une icône qui reste très écoutée par le monde intellectuel. Toutefois sa popularité est moindre qu'à une certaine époque.

Je considère comme une victoire le fait que le Cran soit parvenu à faire figurer, dans la définition du "colonialisme" du Petit Robert, inchangée depuis 1957, une citation d’Aimé Césaire. Une telle initiative contribue à populariser sa pensée profonde et juste.

Il appartient à mon sens aux responsables politiques et sociaux de démocratiser son œuvre. J’invite notamment l’actuelle ministre de la Culture, Christine Albanel, à magnifier la connaissance d’Aimé Césaire auprès des jeunes générations, moins au fait, c’est certain, de sa pensée.

Louis-Georges Tin : Il est exact qu’Aimé Césaire est d’avantage connu en dehors de la France, notamment aux Etats-Unis et en Afrique. Je pense que s'il n’est pas reconnu comme il le devrait en France c’est notamment parce que ses écrits sont d’une dureté terrible pour notre pays, qu’ils constituent une âpre dénonciation du colonialisme français. Je me souviens que le Discours sur le colonialisme a été inscrit au programme du baccalauréat pour la première fois en 1998. Cela tient peut être aussi à l'exigence de ses écrits, en tout cas pour la partie poétique.


Quel héritage intellectuel lègue-t-il après sa mort?
Patrick Lozès
: Un héritage de résistance et de force. Politique bien sûr, mais aussi littéraire par le biais de sa poésie fulgurante. Aujourd’hui je ne peux qu’encourager à la lecture de ses poèmes. Le concept de "négritude" dont Césaire à généreusement refusé la paternité exclusive, en parlant de "création collective" (Césaire partage notamment la création de ce concept avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, NDLR), constitue un autre legs essentiel de ce penseur.

Louis-Georges Tin : Un héritage escarpé, exigeant et de haute ambition. Un héritage dont nous devons être à la hauteur. Je pense qu’au même titre que Martin Luther King, ou Nelson Mandela, il fait partie des personnalités qui ont éclairé le XXe siècle. Césaire est un visionnaire qui a inspiré beaucoup d'individus. Je pense notamment au mouvement panafricain qui reconnaît en lui un vrai père. Alors que les rapports Nord-Sud risquent de dominer le XXIe siècle, les pays du Sud trouvent un écho à leur idéologie dans sa pensée. Césaire est, à mon sens, une personne exemplaire dont les combats sont un éloge à la dignité humaine. Je pense notamment à son œuvre La tragédie du roi Christophe, où comment un esclave, héros de l’indépendance en Haïti, devient après son accession au pouvoir un tyran. Cette pièce caractérise la pensée de Césaire qui a toujours été d’un extrême lucidité sur les dérives du pouvoir, malheureusement courantes dans certains pays d’Afrique qui ont pourtant durement conquis leur indépendance.

Quelle est l'oeuvre d’Aimé Césaire qui vous aura le plus marqué?
Patrick Lozès : Le Discours sur le colonialisme. Cette œuvre mérite d’être découverte, d’autant qu’elle pointe des faits malheureusement encore d’actualité. Je pense par exemple au président Nicolas Sarkozy qui, en juillet 2007 à Dakar, semblait vouloir légitimer le colonialisme en affirmant: "Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire".

Louis-Georges Tin : Comme je le disais précédemment, je trouve la pièce, la Tragédie du roi Christophe, particulièrement éclairante. Naturellement, je ne peux que recommander la lecture de son célèbre Discours sur le colonialisme, dont l’inscription dans les programmes scolaires me semble être une bonne initiative.

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L’interview d’Aimé Césaire ci-après fut recueillie par Khalid Chraibi en avril 1965 à Paris, à l’occasion de la création à Paris, au théâtre de l’Odéon, de la pièce « La Tragédie du Roi Christophe », dans une mise en scène de Jean Marie Serreau. Cette pièce avait précédemment été présentée à Berlin, Venise, Salzburg, Vienne et Bruxelles.

K.C. : La Tragédie du Roi Christophe, malgré les scènes de détente qui la parsèment, est une pièce extrêmement dure. Historiquement, elle retrace un épisode authentique de l’Histoire d’Haïti, mais souvent, on a l’impression que, par-delà Haïti, c’est à l’Afrique moderne que le Roi Christophe s’adresse. Que représente pour vous cette pièce ?

A. Césaire : Tout d’abord, je désire insister sur le fait que la tragédie du Roi Christophe représente un épisode authentique de l’Histoire d’Haïti. En France, beaucoup de gens m’interrogent sur le Roi et croient que c’est une histoire imaginaire. Il n’en est rien. Nous avons une documentation extrêmement détaillée sur le règne du Roi Christophe, les ruines de la Citadelle qu’il a construite pour commémorer à tout jamais la libération d’Haïti existent encore.

La pièce respecte scrupuleusement l’histoire, les événements, au point que beaucoup de mots prononcés par Christophe sont historiques, parfois rapportés tels quels. C’est donc une pièce haïtienne, Antillaise avant tout. J’ai même essayé de donner à la langue française cette couleur antillaise, à la fois dans le vocabulaire et la syntaxe. Cette atmosphère authentique, on la retrouve aussi dans une certaine emphase, très caractéristique de la vie politique haïtienne.

Cela, pour mettre en garde contre les analogies trop rapides. Mais, il est clair que par-delà Haïti, le Roi Christophe de ma pièce s’adresse à l’Afrique (indirectement, si vous voulez). J’ai été frappé moi-même, et si j’ai choisi ce sujet, c’est pour cela, par l’intérêt que l’épisode du Roi Christophe présente, et les analogies qui existent entre les problèmes qu’il eut à résoudre et ceux auxquels doivent faire face les pays sous-développés.

Aucune analogie n’est totale, mais en fait le Roi Christophe, c’est un peu l’homme d’Etat aux prises avec les problèmes de l’indépendance réalisée, quand il faut édifier l’Etat : c’est à ce moment-là que se présentent les grands problèmes : liberté, démocratie ou autocratie, les relations entre le « leader » et le « peuple », le grave problème du choix des idéologies, le problème de la différentiation en classes sociales de la population. Le Roi Christophe est aux prises avec tout cela, et dramatiquement, il échoue, car il n’est pas préparé à cela... Il est un esclave révolté, un homme de sang et d’orgueil, mais malgré ses bonnes intentions, il échoue.

Je ne cache pas, dans ma pièce, ses faiblesses ni ses ridicules, mais ne le condamne pas, car par-delà son ridicule, il y a l’amour qu’il porte à son « peuple » (je n’aime pas ce terme, mais il n’y en a pas d’autre !), et l’orgueil collectif qu’il veut rendre à ses concitoyens humiliés par la colonisation. Son aventure est tragique : il s’isole, un fossé se creuse entre lui et la population, et il se retrouve seul.

Or, c’est là le problème de la condition de l’homme politique dans les pays sous-développés, et en Afrique particulièrement. Je n’ai pas voulu faire une pièce didactique, dont l’objet essentiel serait « d’enseigner », ... ce qui ne signifie pas non plus qu’on ne puisse pas en tirer la leçon.

On me demande souvent : « Etes-vous Christophien ou non ? » . La réponse n’est pas simple. Je suis choqué par toute une série d’attitudes du Roi Christophe, qui a un côté « nouveau riche », un côté « Monsieur Jourdain ». Et puis, par les moyens extrêmement brutaux, le côté « despote » du personnage qui ne peut avoir mon approbation. Mais le Roi Christophe n’est pas un héros, c’est un homme, dans toute sa complexité, et c’est cela qui est dramatique, pathétique. L’originalité de ma pièce, c’est de montrer l’aspect multiple des gens.

On peut ne vouloir voir dans le Roi Christophe que son ridicule, ces ducs de la Marmelade qu’il nomme à sa « Cour », et dire : « Eh bien, voyez les nègres ! ». Ce que j’ai voulu faire, c’est expliquer ces singeries humainement, et on s’aperçoit alors qu’il y a une démarche qui ne manque pas de pathétique ni de grandeur. En fin de compte, c’est ce côté pathétique, « grand », qui émerge le plus.

Le Roi Christophe est un esclave, et ses démarches sont maladroites, ridicules parfois, mais attendrissantes. Ces démarches, je les comprends. Et il y a surtout la tragédie de l’homme qui dit : « On nous vola nos noms ». Car, moi-même, mon nom, qu’a-t-il d’authentique par rapport à moi ?

Ce que j’ai voulu, c’est, par-delà le ridicule, retrouver et expliquer la démarche humaine. Car, il est très facile de se moquer des Haïtiens qui ont de « drôles de noms », tous ces Toussaint, etc., mais il ne faut pas oublier que ces noms, ces sobriquets (Trou Bonbon, Tape-à-l’œil...) ce sont les Français qui les ont donnés aux Antillais.

K.C. : Vous parlez du Roi Christophe avec respect pour sa souffrance, mais avec amour aussi, bien qu’il soit le « tyran ». A ce sujet, un des personnages de votre pièce dit, et cela explique le drame du Roi Christophe : « L’Histoire pour passer n’a parfois qu’une voie. Et tous l’empruntent... si bien que celles de la liberté et de l’esclavage se confondraient. » Cette affirmation est très grave, à notre époque caractérisée par le « mythe du Chef ». Voudriez-vous, pour éviter tout malentendu, nous expliquer plus en détail votre pensée ?

A. Césaire : Le problème de la mystique du Chef est en effet extrêmement grave. Lénine, c’est aussi le chef, si vous voulez. Mais il ne faut pas de malentendu : Christophe échoue ; et c’est parce qu’il a pris la mystique du chef, qu’il s’est isolé, qu’il n’a pas suffisamment tenu compte de son peuple, qu’il échoue. Parce qu’il ne manifeste pas de « compréhension », comme dit un des personnages. Pourquoi alors la pièce est-elle un hymne à Christophe ? C’est parce que, malgré toutes ses erreurs, ses faiblesses, c’est un homme qui a voulu la grandeur de son peuple, qui a voulu réhabiliter sa race, parce qu’il était porté, dans ses actes, par une grandiose aspiration à la dignité.

C’est un homme très ambigu, mais très important en ce qu’il constitue une articulation historique : c’est un homme de transition. Je n’ai pas voulu simplifier, j’ai voulu montrer les choses dans leur ambiguïté. Lénine lui aussi, qui comprenait cet aspect ambigu des hommes, a parlé en termes élogieux de certains hommes de l’Histoire qui étaient de grands féodaux, mais qui étaient aussi des libérateurs de leur peuple.

En dehors du côté politique du Roi Christophe, il y a le côté humain : c’est le problème de l’homme seul, de l’action, du tragique de la condition humaine. Mais il y a aussi le côté religieux et métaphysique, qui ne ressort pas à la lecture de la pièce, mais que j’ai accusé à la représentation sur scène : il y a l’existence d’une lutte secrète. Remarquez le couple Christophe-Hugonin. Tout le monde y voit un côté shakespearien : roi et bouffon. Mais plus profondément, il faudrait partir d’un côté africain. Christophe, l’homme dur, est la représentation du Dieu « SHANGO », le grand « Dieu du ciel » de la mythologie du Dahomey, du Brésil et de Haïti. C’est le « tonnerre », Dieu très violent, mais bienfaisant et rajeunisseur : il est l’orage, qui est violent, mais qui féconde la terre en apportant la pluie bienfaisante. Extraordinairement, Shango est le seul Dieu de la mythologie qui se tue : il se pend.

L’autre aspect des choses est représenté dans cette mythologie par un Dieu-clown, que les Anglais appellent « trickster » (qui joue des tours), incarné dans la pièce par le « bouffon » Hugonin. C’est un Dieu malin qui, sous son caractère ironique, représente l’autre aspect, complémentaire, des choses. C’est la lutte de l’esprit ironique contre l’esprit sérieux. Or, Christophe s’est suicidé, et Hugonin devient fou. Le « bouffon » qui devient fou, c’est cela la tragédie, aussi, dans son horreur.

K.C. : Aimé Césaire, vous avez écrit, en introduction à votre pièce : « Les pays coloniaux conquièrent leur indépendance, là est l’épopée. L’indépendance conquise, ici commence la tragédie. » Voudriez-vous nous commenter cette pensée ?

A. Césaire : Effectivement, la lutte pour l’indépendance est glorieuse, magnifique. Mais, je dirais que c’est « relativement facile ». Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée. La lutte pour l’indépendance coûte beaucoup de sang et de larmes, c’est un acte héroïque, mais c’est « facile » comparé aux problèmes qu’il faut résoudre, une fois l’indépendance conquise. La lutte est épique, mais avec du courage et de l’enthousiasme, c’est réalisable. C’est l’épopée. Après l’indépendance, c’est la tragédie. Car, c’est à ce moment-là, et les gens devraient s’en rendre compte, que la lutte difficile commence, que la lutte pour la libération prend son sens. A ce moment-là, on lutte pour soi-même, il n’y a plus d’alibi possible, l’homme est aux prises avec lui-même.

C’est là le côté le plus viril de la lutte, mais aussi le plus dur. Car l’esclave, à la limite, n’a pas de responsabilités : théoriquement, il se contente de faire le travail qu’on lui ordonne de faire, de manger et de dormir.

Naturellement, il est bien plus difficile d’être un homme libre que d’être un esclave. Mais toute la dignité de l’homme vient de ce qu’il préfère la liberté difficile à l’esclavage et la soumission faciles. C’est de cela que les pays nouvellement indépendants doivent prendre conscience, c’est de cela que le Roi Christophe a pris conscience... Sekou Touré a très bien exprimé cela en répondant au Général de Gaulle : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage. »

K.C. : Aimé Césaire, votre œuvre, l’une des lus profondément originales du Tiers Monde et des temps modernes d’une manière générale, trouve son inspiration la plus puissante dans les racines les plus « authentiques » de Haïti et de sa culture, mais c’est en même temps une œuvre extrêmement difficile et élaborée du point de vue artistique. C’est l’un des points les plus délicats de l’art contemporain du Tiers Monde : l’art doit-il d’abord chercher à être accessible au grand public, ou bien l’artiste doit-il faire son travail « en artiste », sans faire de concessions aux contingences de son époque ?

A. Césaire : Votre question est extrêmement intéressante, et soulève un problème très important. Je vais essayer d’y répondre. Tout d’abord, bien que mon œuvre soit « haïtienne », je suis Martiniquais, non Haïtien. Mais je suis « Antillais » surtout (les Antilles englobant Haïti, la Martinique, etc. Haïti m’a intéressé parce qu’elle a l’histoire la plus mouvementée, la plus passionnante, la plus glorieuse, la plus malheureuse aussi. Savez-vous que Haïti est la première colonie noire à s’être battue pour son indépendance puis, une fois son indépendance conquise, à prendre le régime de république ? Cela se passait à la fin du 18è s. Et pourtant, actuellement, le peuple haïtien est l’un des peuples les plus malheureux, à cause de la situation que vous connaissez. J’ai été fasciné par Haïti, parce que c’est une sorte « d’œil grossissant » pour toutes les Antilles, et pour l’Afrique aussi, et en étudiant l’histoire d’ Haïti, on pourrait avoir une idée de tous les problèmes du Tiers-Monde.

En ce qui concerne votre question sur l’œuvre « difficile », c’est un problème esthétique extrêmement important. Difficile ? Vous dirais-je qu’à mon avis, cela n’est pas entièrement, totalement vrai ? En ce qui concerne mon œuvre, en particulier mon recueil de poèmes « Cahier d’un retour au pays natal », je dois vous dire que ce qui m’a toujours frappé, c’est que malgré leur caractère de prime abord « ésotérique », mes lecteurs les plus compréhensifs sont des gens du peuple. Il y a des milliers d’Africains qui connaissent par cœur de grands extraits du « Cahier d’un retour... », et pourtant c’est une œuvre difficile. Les hommes de culture française, occidentale, sont ceux qui parlent le plus de la difficulté de mon œuvre. Cette œuvre rejoint, par ses démarches, les démarches de la pensée dite « primitive ».

Des gens disent : « c’est du surréalisme ». Mais alors, beaucoup de paysans africains font du surréalisme sans le savoir, car la pensée africaine n’est pas analytique, sa démarche est synthétique, analogique et métaphorique. C’est cela le « surréalisme ». Le surréalisme est opposé à la tendance analytique occidentale, mais est conforme à la pensée africaine. Vous avez l’exemple de cet Africain, Amos Tutola, homme du peuple qui était concierge dans un hôtel, et qui s’est mis à écrire des œuvres d’une poésie et d’une fraîcheur extraordinaires, toutes en métaphores. S’il était sorti de l’université, on aurait dit : « c’est un surréaliste ». Le développement de la culture occidentale s’est fait au détriment du sens de l’image, et on est très surpris de voir combien mon œuvre, dite difficile par les intellectuels, est relative.

Mais il y a un problème malgré tout, et c’est pour cela que, depuis quelque temps, je me suis dirigé vers l’art théâtral. Pour moi, le théâtre est le moyen de sortir de la contradiction que vous signalez, et de mettre la poésie à la portée des masses, de « donner à voir » comme dirait Eluard. Le théâtre, c’est la mise à la portée du peuple de la poésie.

Le théâtre est très important dans nos pays sous-développés, il y a dans ces pays une faim de théâtre. Car ce sont des pays qui s’interrogent. Autrefois, ils étaient soumis à une domination étrangère, ils subissaient leur sort. Maintenant, ce sont eux qui forgent leur destinée, et mettent en question, et le théâtre est la mise en question de la vie par elle-même. Avec l’indépendance, le Tiers-Monde est arrivé à l’âge où l’on s’interroge sur soi-même, et c’est là l’âge du théâtre.

K.C. : Arthur Miller a écrit : « L’art se doit de témoigner sous peine de tomber dans l’artifice et la complaisance. Quand je parle de l’art en tant que témoin, c’est simplement pour lui rendre sa fonction première, qui est d’ouvrir les yeux à la vie et non pas de procurer un faux réconfort. » Cela, c’est le thème de « l’art engagé », un des thèmes les plus discutés du Tiers-Monde. Quels commentaires feriez-vous à propos de cette citation ?

A. Césaire : Je suis tout à fait d’accord avec cette phrase de Miller et, à ma manière, je considère que je témoigne. Le Roi Christophe est un témoignage. « Ouvrir les yeux à la vie », comme dit Miller, c’est ce que je disais tout à l’heure : « la vie qui prend conscience d’elle-même et fait prendre conscience (par le théâtre). » Je suis rigoureusement « engagé » et ne conçois pas qu’un artiste du Tiers-Monde ne soit pas engagé. Cela ne signifie pas que l’engagement permet d’éviter les problèmes esthétiques qui se posent à l’artiste, mais l’engagement est nécessaire. Je ne conçois même pas que nous ne puissions pas l’être. Je ne conçois pas que l’artiste puisse rester un spectateur indifférent, refusant de prendre une option.

Mais, attention à la notion d’engagement : engagement ne signifie pas pour l’artiste être engagé dans un parti politique, avoir sa carte de membre, et son numéro. Etre engagé, cela signifie, pour l’artiste, être inséré dans son contexte social, être la chair du peuple, vivre les problèmes de son pays avec intensité, et en rendre témoignage. Pour cite un maghrébin, Kateb Yacine par exemple est un homme absolument représentatif. Son œuvre reflète les souffrances du peuple algérien qui lutte pour la libération, elle porte témoignage. C’est cela l’engagement. Toute œuvre d’art, d’ailleurs, à condition d’être profonde, porte témoignage, et elle ne le peut que si elle est vraiment vécue, sous-tendue par tout le drame intérieur de l’écrivain, qui résulte de l’engagement. Kateb Yacine, c’est l’Algérie.

Ce qu’il faut distinguer, c’est les niveaux de l’engagement. L’engagement politique est un niveau. Mais ce n’est pas le seul niveau. Le deuxième niveau est celui de l’engagement de l’écrivain, et cet engagement est plus fort encore. Il faut fixer l’engagement de l’écrivain à son propre niveau. Si cela n’était pas vrai, alors Dostoïevski ne serait pas un artiste engagé, à cause de ses attitudes politiques. Et pourtant, Dostoïevski est un artiste engagé, qui porte témoignage, parce que nul n’a exprimé de manière aussi profonde la réalité du peuple russe.

Je lutte là contre une conception trop primaire et schématique de l’engagement, et contre la littérature des « mots d’ordre », la littérature « dirigée » qu’on a pu voir naître dans certains pays. L’artiste doit être suffisamment engagé dans sa situation pour vivre dramatiquement à lui tout seul les problèmes de son peuple. Dans cette optique, Kateb Yacine porte tout le drame du peuple algérien, tout comme Kafka portait le drame du peuple juif. C’est cela l’art engagé.

Khalid Chraibi
Economiste (U. de Paris, France, et U. de Pittsburgh, USA), a occupé des fonctions de consultant économique à Washington D.C., puis de responsable à la Banque Mondiale, avant de se spécialiser dans le montage de nouveaux projets dans son pays.

In: http://www.caraibeexpress.com)






samedi, avril 12, 2008

75- Aimé Césaire hospitalisé

samedi 12 avr, 03 h 17

FORT-DE-FRANCE (AFP) - L'état de santé du poète martiniquais Aimé Césaire, 94 ans, hospitalisé depuis mercredi après-midi à Fort-de-France (Martinique), est "préoccupant", a indiqué vendredi le CHU de Fort-de-France.

"Monsieur Aimé Césaire a été admis admis au CHU de Fort-de-France pour des raisons de santé, notamment de nature cardiologique", a précisé l'hôpital dans un communiqué publié vendredi peu avant 13 heures locales (19HOO à Paris).

"Son état s'est aggravé au cours de ces derniers jours et sa situation clinique est préoccupante", selon le communiqué.

Annonçant son hospitalisation jeudi, son successeur à la mairie de Fort-de-France, Serge Letchimy, avait indiqué que "Monsieur Aimé Césaire, maire honoraire de Fort-de-France, a dû être hospitalisé, son état de santé nécessitant un certain nombre d'explorations". L'annonce de son hospitalisation était intervenue sur fond de rumeurs alarmistes sur son état de santé.

Chantre, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas du célèbre concept de "négritude" - la conscience d'être noir - Aimé Césaire a consacré sa vie à la poésie et à la politique.C'est en 1939, dans son célèbre recueil "Cahier d'un retour au pays natal" qu'il fait une entrée fracassante en poésie, employant pour la première fois le terme de "négritude".

Senghor a assuré que c'était Césaire qui a inventé ce mot mais ce dernier préférait parler de "création collective". Infatigable promoteur de l'automonie, et non de l'indépendance, de la Martinique, Aimé Césaire a été de tous les combats contre le colonialisme et le racisme.

Maire de Fort-de-France de 1945 (il n'avait que 32 ans) à 2001, député de 1946 à 1993, président du Conseil régional de Martinique, il avait quitté la présidence du Parti progressiste martiniquais (PPM) en 2005. Entré en politique avec le soutien du Parti communiste, il le quittera en 1956. Un an plus tard, il est le rapporteur de la célèbre loi qui transforme en "départements" les vieilles colonies sucrières et bananières ultramarines (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion). Certains l'accusent alors de reniement car ce processus peut conduire à l'assimilation.

En 1957, il fonde le Parti progressiste martiniquais (PPM) qui revendique l'existence d'une communauté historique martiniquaise et veut jouer le jeu de la décentralisation. Il le présidera jusqu'en 2005.

Fidèle à sa doctrine, Aimé Césaire avait prévenu fin 2005, qu'il ne recevrait pas Nicolas Sarkozy, qui devait se rendre aux Antilles comme ministre de l'Intérieur. "Je ne saurais paraître me rallier à l'esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005", expliquait-il, en référence à l'article 4 "reconnaissant le rôle positif de la présence française outre mer".

Il l'avait finalement reçu en mars 2006, lui offrant son célèbre "Discours sur le colonialisme"
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vendredi, avril 04, 2008

73- Portraits de sidérurgistes à Fos sur Mer

J'ai assisté hier soir à une représentation au théâtre de Fos intitulée « Coulée d’encre », un spectacle co-produit par le comité d’entreprise d’ArcelorMittal en partenariat avec le théâtre de Fos, de Scènes et Cinés Ouest Provence et l’association Ville Lecture Ouest Provence. Environ deux cents personnes dont l’écrasante majorité était constituée des salariés de l’usine ainsi que de leur famille, ont assisté à la représentation.

25 employés sidérurgistes ont accepté de se confier à un auteur, Jo Ros, qui a tiré à chacun son « portrait littéraire ». « Ils m’ont tendu les mains – dit Ros – et le bout de leur souffle, je leur ai rendu une « coulée d’encre » sur le papier du travail de l’usine, déposée en brames blanches sur leur mémoire de femmes et d’hommes. »

Les descriptions ne sont peut-être pas profondes, ne jonglent pas avec la syntaxe, mais elles traduisent on le devine assez fidèlement à travers chaque ligne, les désirs, les chemins parcourus et les parcelles de vie des uns et des autres. On les lit avec un réel plaisir.

Extraits : « (…) Malgré la rudesse de la tâche, l’adaptation incontournable à un rythme de vie et de travail qui me font tenir les heures, jour après jour, des postes en trois huit, mon corps et mon âme se sont trempés aux cadences des coulées d’acier. Un volcan qui ne s’éteint jamais. Un volcan dans mes idées. Un besoin de comprendre le monde. Et celui des origines de l’être humain. Il m’est venu à la lumière de quelques lectures et de documentaires télévisés, le besoin de me plonger dans ces énormes récits que sont la Bible, le Coran et la Tora (…) »

Technicien aciériste, 53 ans.

« (…) Ce qui m’intéresse et me préoccupe, plus que la culture chimique et physique des technologies industrielles, c’est la place de l’homme dans une telle machinerie, un tel gigantisme. L’homme serait-il ce si petit élément que l’on puisse à la fois le nier et ne pouvoir s’en passer. Ce que j’ai vécu, toute cette expérience accumulée, ce parcours de professionnel et d’homme dans ces dédales de fer ont participé à mon éducation (…) »

Technicien aciériste, 56 ans.

« (…) L’injustice, l’atteinte aux droits des femmes, des enfants, de l’homme en général me mettent en colère. Guerre, violences, racisme amènent leur malaise au sein de l’usine dans nos discussions et nos prises de position. Dans le cadre de ce formidable outil, le Comité d’entreprise je préfère aider, proposer, construire. Je regrette de ne pas avoir connu ce service plus tôt. Peut-être parce que j’ai eu un parcours de femme et de terrain dans l’usine, essuyant la misogynie aujourd’hui en voie de disparition, curieuse de tout, aimant la vie, le changement, le mouvement. Aujourd’hui je suis comblée. Vous n’êtes plus étonné, tant mieux, parce que moi je suis bien dans ma tête et dans ma peau. »

Technicienne de gestion, 56 ans.

Et ainsi de suite durant 54 pages de vie (le recueil n’étant pas numéroté, j’ai du compter les feuilles !)