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jeudi, juillet 15, 2010

207- L'Amer Jasmin de Fès. n° 4

Elle est bouleversante. Naturellement troublante. J'écris ces mots quinze jours après avec une profonde conviction, mais je trouve qu'ils ne reflètent pas assez ce qu’elle a fait naître en moi. Elle est jeune, mon Dieu qu'elle est jeune ! Je frissonne un instant et je me vois en Gabrielle Russier, l’enseignante mise au ban de la société, morte d’avoir aimé son jeune protégé. Je n’ai pas honte de l’aimer, je l’aime déjà ! Mais je culpabilise. Sa jeunesse lézardera ma morale et mes principes. D’ores et déjà je crains de vivre le calvaire de Gabrielle. Comme je lui ai demandé son nom, elle a susurré une fois, puis encore à ma demande : « Katia G... » Elle est en France depuis peu. « Ene an idmi coum ça ». Elle est originaire d'un village berbère du sud de Fès. Son accent hautement épicé puise dans le parlé vernaculaire de l’Atlas marocain proche des sources de la Moulouya. Ces mots sont puissants mais ils ne correspondent pas tout à fait à ce que cette jeune Marocaine a fait naître en moi. Lorsque je la scrutais alors qu'elle s'efforçait de porter ses maigres connaissances linguistiques sur papier, quelques vers désarticulés de Balkhaïr ont traversé mon esprit dans le désordre. Je les ai retrouvés depuis :
Sous la frange apparaît la blancheur de son front / qui rivalise d'éclat avec la lune, / Les sourcils de ma reine de beauté sont bien tracés, / Et on prendrait ses yeux meurtriers pour deux pistolets / D'un Bey d'Istanbul. / Ses joues sont aussi lumineuses que l'aurore, / Son cou est comparable à un étendard, / Tes lèvres ma belle, rouges et fines sont comparables / A du cuir du Tafilalet apporté par un marchand Marocain, / Tes dents ressemblent à l'ivoire…
Au terme de la rencontre j’ai demandé à Katia G… et à l’autre jeune fille, Chafia M… de constituer un dossier administratif et de l'apporter au plus tôt pour intégrer la formation qui avait commencé le deux septembre. Lorsqu'elles eurent terminé, j'ai voulu leur dire ‘‘à bientôt’’ mais ma gorge m'a trahi. Elle s'est désolidarisée et a projeté un bruit sourd et caverneux tel que j'ai moi-même douté de son origine et de sa signification.
Cette fille qui est tombée sur moi, qui hante et colore à la ouate plusieurs de mes nuits, est revenue le mardi 17 septembre. Elle est arrivée avec son dossier incomplet. Chafia M… avait entre-temps rejoint le groupe de stagiaires. Lorsque j’ai fait remarquer à Katia G… qu'il manquait des pièces au dossier, la beauté n'a pas répondu. Elle a seulement dardé son sourire impossible dans mes yeux défaits, puis de sa bouche en cul-de-poule, suppliante, elle a tiré la langue qu'elle a ensuite entièrement et maladroitement fait glisser lentement le long de la lèvre supérieure, puis lentement sur la lèvre inférieure. Je fus saisi par cette conduite qui contrastait avec l’idée que je commençais à me faire d’elle. Pourquoi un tel comportement ? Est-elle dévergondée, est-elle à ce point niaise ou écervelée ? Ce jeu de langue et de lèvres m'a bouleversé et fortement déçu. Ainsi c'est une invite ai-je pensé, ses mœurs sont légères. Plus tard j'ai aussi pensé qu'il me fallait peut-être chasser cette noire opinion prématurée. Cela n’a pas été facile. Depuis je l'ai attendue en vain. Hier, animé par mon impatience, j’ai composé le numéro qu’elle nous a communiqué. C’est elle-même qui a décroché. Je lui ai proposé de m’attendre ce matin à neuf heures devant l’arrêt de bus en lui précisant « c'est sur mon passage ».
- Mais il me manque un papier.
- Ce n'est pas grave. J'ai une voiture verte. Une Peugeot 505.
- J'habite à Orgon près de l'office de tourisme.
- Je sais où tu habites. Moi aussi j'habite non loin. A demain.
La conversation s’est déroulée essentiellement en arabe maghrébin. Ses derniers mots ont retenti dans mon esprit comme un complément au geste déplacé de mardi dernier lorsqu'elle avait tiré la langue. Elle a dit :
- J’ai beaucoup de choses à te raconter.
En fin de journée je suis allé chez le plus chic salon de coiffure d’Orgon. J’ai aussi transité par Marionnaud pour m’offrir une eau de circonstance, une eau de toilette de chez Hugo Boss, un parfum de première classe. « Un parfum charmeur et plein de vigueur. » Va falloir assumer.

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Vous trouverez le roman dans sa globalité ici:
http://razialek.blogspot.com/

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