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samedi, mars 05, 2011

241 - Une sensation instantanée dans un moment furtif, lointain.

Il y avait dans la cour du numéro 8 de la rue du docteur Strauss, à Oran, en ce jour de juin 1958, mon ami José et sa sœur Joëlle. Les parents de José et de Joëlle étaient ce jour-là absents. Mon ami me demanda de venir chez lui jouer au tour de France avec des capsules de bouteilles, des platicos disions-nous, « viens je suis seul ». Joëlle a préféré rester jouer à la marelle dans la cour.
Il y avait dans leur appartement toutes sortes d’objets qui m’étaient familiers, mais il y avait autant d’autres objets qui m’étaient complètement étrangers. Ainsi une tirelire, un poste télé, mais surtout ce tire-bouchon posé sur la table, m’intriguait. C’était la première fois que je voyais cet objet. 
 

Aussitôt je le pris entre mes mains et instinctivement le mis sous le nez. Aujourd’hui encore il me revient cette odeur de vinaigre mêlée aux senteurs des sous-bois qu’exhalait le bouchon de liège traversé par une queue de cochon métallique. Près du tire-bouchon il y avait une bouteille en verre de couleur verte. J’ai difficilement lu l’étiquette : « Seneclauze ». Il y avait aussi un verre posé entre le vin et le tire-bouchon, un verre encore mouillé, je veux dire qu’il n’était pas tout à fait vide. Son contenu était rouge. Je savais qu’il ne nous était pas autorisé. Nous, c'est-à-dire ma famille et moi. Je savais que c’était du vin, ce qu’il en restait. J’en avais entendu parler mais il n’y en avait jamais eu à la maison. Délicatement, après avoir pris la précaution de la discrétion, je posais deux doigts tremblants au fond de l’interdit puis les portais ensuite contre mes lèvres. J’ai reconnu aussitôt l’odeur du bouchon mais beaucoup plus épaisse, beaucoup plus repoussante.
J’ai aussitôt craché, essuyé plusieurs fois les doigts contre mon pantalon et, avec le revers de mon pull, essuyé la langue, les lèvres, la bouche, jusqu’à avaler quelques fibres du pull. Tout cela pour me défaire de ce goût si étranger, si désagréable alors.

Il y avait par-dessus tout, dans la maison de mon ami José, une odeur particulière de renfermé, une combinaison d’odeurs étrangères à l’intérieur de ma maison, des odeurs faites de saucisson, de morue séchée, le Bakalao, et de parfums abondants mélangés. Il n’y avait pas de canun, ni brasero, ni d’encens mais des odeurs froides. Parfois elles me prenaient à la gorge et j’avais honte à la place de mon ami. Une odeur insupportable. Je me souviens lui avoir menti ce jour-là, « je dois partir, sinon ma mère va me chercher ». Je sus plus tard qu’il s’agissait de camembert bien fait qu’on posait nu dans une assiette, sur le vaisselier. Nous n’avons pas joué aux platicos.

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