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mercredi, mai 23, 2012

321 - Boualem Sansal en Israël




1- Boualem Sansal est un homme libre. Il voyage où bon lui semble. Je comprends parfaitement qu’il veuille débattre de ses romans où il veut. Personnellement, pour raison professionnelle, à la fin des années 90 j’ai failli traverser Israël pour effectuer un reportage, y compris dans les territoires occupés. En juin 2000 une délégation d'universitaires et de journalistes algériens s'étaient rendus dans cet Etat. La question, si question il y a, porte sur la perception que chacun a de l’Etat hébreux, sans confondre cet Etat voyou avec ses populations. Mon ami Sansal le fait-il ? Je n’en sais rien, après tout cela est son problème. Chacun défend ses convictions comme il l’entend. Sur Israël, je dirais avec d’autres qu’il est un Etat colonialiste soutenu par les grandes puissances et la lâcheté de nombreux dirigeants arabes, au détriment des populations Palestiniennes spoliées. Mais cela doit-il empêcher un journaliste ou un auteur Algérien, arabe ou autre d’aller sur place ? Je pense que non.

2- Il va sans dire que les propos tenus par les uns et les autres dans ce blog n’engagent que leurs auteurs. Il est évident que je n’approuve pas nécessairement leur contenu, notamment ceux (loin, très loin de la littérature) qu’avance ci-dessous l’insupportable JP Lliedo, homme aigri probablement et haineux assurément, réglant ses comptes à je ne sais qui, en s’en prenant aux arabes, aux Palestiniens, aux démocraties arabes… s’est-il un jour interrogé sur ses convictions communistes peut-être même staliniennes, qu’il a défendues des années durant sans jamais faire son mea-culpa ?

Merci.
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Boualem Sansal à Jérusalem
Par Jean-Pierre Lledo - Mardi 22 mai 2012
Voilà, Boualem Sansal est reparti. Voyage éclair. Mais pour toutes celles et ceux qui ont pu l’approcher durant ces 4 jours (13 au 16 Mai), à Jérusalem ou à Tel Aviv, à l’occasion de sa participation au Festival International des Ecrivains 2012 de Jérusalem, la lumière de l’éclair restera pour toujours. Pour d’innombrables raisons.
Malgré sa notoriété qui grandit de roman en roman, Boualem est resté le même, modeste, à l’écoute, doux, n’élevant jamais la voix, naïf et pas faussement, tellement sans masque qu’on a envie de le lui en tendre, au moins un, on sait jamais.
Comment ne pas penser à cette autre force tranquille, l’écrivain Tahar Djaout qui, lui en plus, roulait adorablement les ‘’r’’ ? (Il fut assassiné le 27 mai 1993 par les islamistes alors qu’il venait de sortir de son immeuble et d’entrer dans sa voiture, dans une lointaine banlieue d’Alger).

Même les énormités ne perturbent pas plus Boualem qu’elle ne perturbait Tahar.

Et autant le dire de suite, Boualem n’en entendit pas une seule, là.

Les énormités, faut aller les chercher sur le net : haine, antijuivisme primitif le disputant à un aussi primitif anti-israélisme, insultes nauséabondes, baignant souvent dans ce nazislamisme déjà dénoncé par l’auteur dans ‘’Le Village de l’Allemand’’.




Même aussi dénué de préjugés que lui, arriver à Jérusalem quand on vient d’Algérie n’est pas une mince affaire. Que faut-il surmonter ? Je lui ai posé la question. Réponse : ‘’la peur’’. Et Boualem refuse d’avoir peur, car ‘’c’est entrer dans leur logique’’. Celle du censeur, du dictateur, du sectateur, et de tous les autres bien-penseurs. Il faudrait écrire panseurs.

N’ayant pas peur, il a pu savourer ses sensations, celles du lieu magique, Yérouchalaïm (Jérusalem prononcé en hébreu), celles des rencontres avec ses habitants-lecteurs-auditeurs, et en éprouver du bonheur. C’est beau de voir un visage émerveillé. On a beau avoir dépassé la soixantaine, c’est celui d’un enfant. Rien de mystique ni du fameux syndrome de Jérusalem, pourtant.

Car il en sera ainsi de tous les Arabes qui viennent et viendront en Israël.

Planter ses dents dans le fruit défendu, c’est quand même le plaisir des plaisirs.
Ensuite, retrouver ces Juifs qui ont été chassés de tous les pays arabes. 600 des 900 mille, ce n’est pas rien. Et donc forcément qu’à chaque coin de rue, vous avez de fortes chances de vous retrouver nez à nez avec un de ces 600 000, un pote de Tlemcen, ou de Constantine, ou du Mzab, ou du bled de la Kahena dans les Aures… Et le nez, les Juifs comme les Arabes, ils n’plaisantent pas avec.
photo in Guysen
Ensuite, quand on vient du monde arabe, et qu’on a dû prendre son visa à Paris, donc traverser plusieurs pays d’Europe, où insensibles aux tueries et aux discriminations les plus intolérables du monde musulman, vis-à-vis des Noirs, des Chrétiens, et de tout musulman qui ose déroger, Israël est devenu le seul motif d’indignation, la grosse surprise c’est, bien sûr, de marcher dans des rues où se croisent des Arabes et des Juifs le plus normalement du monde, ou bien de traverser tout Jérusalem et ses quartiers plutôt arabes ou plutôt juifs, dans ce fameux tramway à peine inauguré, sans que l’on y voit un seul policier, sans que le moindre ‘’crime talmudique’’ ne soit commis pour faire de la galette avec du sang d’enfant arabe, puisque tel est le sujet favori d’une bonne partie de la production romanesque dans le monde arabe…

Boualem m’a d’ailleurs demandé comment étaient habillés les policiers. Je lui ai répondu que je me posais la même question, car je n’en avais pas encore vus, et que je me demandais même comment d’aussi grandes villes pouvaient s’autodiscipliner.

Et lorsque Boualem s’est rendu au lycée français de Jérusalem qui tient à s’afficher ‘’laïque’’ bien que situé dans le couvent St Joseph, ce qui l’a éberlué, c’était que hormis quelques profs et le proviseur, des Français, le reste, profs et élèves étaient Juifs et Arabes, ces derniers étant soient israéliens, soit venant des Territoires administrés par l’Autorité Palestinienne.

Les keffiehs que portaient certains élèves ne lui ont pas échappé non plus. C’est vrai que c’était le jour de la ‘’Naqba’’ (catastrophe), que depuis quelques années les dirigeants palestiniens tiennent à commémorer, sous ce nom, presque l’équivalent en hébreu de la ‘’Shoah’’, excusez du peu,[Ahmed Hanifi : Je n’ai pas pu résister ici pour dire que je trouve ces mots « excusez du peu » de LLiedo nauséeux.] le même Jour que l’indépendance israélienne de Mai 1948.

Quand les Arabes et les Palestiniens pourront librement - c’est à dire sans que les intellectuels n’aient peur pour eux et leur famille - se réapproprier leur histoire, ils devront sans aucun doute conserver une Journée Naqba, mais en la situant bien, bien avant…

Par exemple, au tout début du 20ième siècle lorsque les premiers mouvements politiques arabes - ils ne se disaient pas encore ‘’palestiniens’’ puisque les premiers palestiniens de cet endroit furent … Juifs - au lieu de s’employer à bâtir les institutions de leur futur Etat, comme le fit le mouvement sioniste, consacrèrent toute leur énergie à nier le droit national des Juifs à avoir leur propre Etat, d’abord par la parole, puis par le boycott de leurs produits économiques, puis par les assassinats de simples gens, puis en commençant par chasser les Juifs de Galilée, de Hébron, et de Jérusalem, c'est-à-dire ceux qui n’avaient jamais quitté cette terre, enfin par la guerre dirigée par le Hadj Amin El Husseini financé dès les années 30 par les nazis.

Fourvoyés par leurs chefs et par des pays arabes dont les frontières ont toutes été dessinées par la puissance dominante, l’Angleterre, telle est la véritable Naqba des Palestiniens arabes, chrétiens et musulmans.

Le jour où l’on verra des intellectuels arabes et palestiniens le dire et l’écrire, alors la solution du conflit israélo-palestinien ne sera plus très loin…
Sansal, quant à lui, est persuadé qu’un jour la paix arrivera. Et il a même une petite idée toute simple qu’il ne nous a pas dissimulée…

‘’Il faudra qu’autour de la table, il n’y ait que des Palestiniens et des Israéliens.’’. Pas d’autres.

‘’Ni des Européens, ni des Américains, ni des Russes, car tous n’ont en vue que leurs intérêts’’.

Ni des Arabes d’ailleurs, surtout eux, qui aujourd’hui se sont livrés aux islamistes…

Les islamistes, et on l’avait compris depuis ‘’Le Village de l’Allemand’’, sont pour Boualem le mal absolu.

Aussi a-t-il tenu à s’élever contre ceux qui en Europe défendent l’idée que c’est ‘’un mal nécessaire’’.

Traverser le Mal pour aller vers le Bien ? ‘’Ridicule, suicidaire !’’, hausse à peine la voix, Boualem : ‘’Pour aller vers le bien, il faut s’ ECARTER du Mal’’.

Mais les élections dans le monde arabe qui lorsqu’elles sont libres portent partout au pouvoir les islamistes, laissent-elles un espoir, lui ont demandé maintes fois ceux qui firent salle comble à chacun de ses débats ?

‘’Pas à brève échéance’’, admet l’écrivain. Et précise-t-il, le temps à lui seul n’y fera rien. De débat en débat, Boualem ne craint pas de se répéter : ‘’les intellectuels du monde arabe doivent se mettre au travail’’, pour élaborer une pensée indépendante des pouvoirs consacrés, une pensée qui ne recule devant aucun tabou. Et comme Boualem ne veut pas désespérer, il énumère quelques exemples (peu nombreux) de réactions positives à son voyage actuel en Israël, qui certes par ces temps de fange haineuse, illuminent...

La question qui est revenue le plus souvent est : ‘’Pourquoi restez vous en Algérie ?’’. Certains le prièrent même, larmes aux yeux : ‘’Ne tentez pas le diable, partez !’’. Et Boualem de citer un échantillon de la longue liste des bêtes noires du pouvoir qui depuis 1962 ont toutes été assassinées dans différentes villes d’Europe, sans même que les polices de ces pays dotés pourtant d’Etats de droit et de justices indépendantes n’aient mené la moindre enquête.

‘’Ce n’est pas moi qui doit partir, ce sont eux (les pouvoirs) !’’.

Evidemment, le public israélien n’a pas l’habitude de rencontrer pareils énergumènes.

Surprise. Etonnement. Effarement. Ahurissement. Stupéfaction. Ebahissement. Eblouissement. Emerveillement. Fascination….

Voilà, je vous ai mis tous les synonymes de ‘’surprise’’ que me propose l’ordinateur. Et il est certain que le charme, comme l’éclair dont je parlais au début, n’est pas prêt de s’estomper.

Tant de mots du coeur lui ont été dits… En aparté : ‘’Beaucoup vous admirent, moi je vous aime’’, dixit Ziva. Et en public : ‘’si Primo Lévi était vivant, il serait votre ami, Boualem !’’. Suprêmissime compliment par quelqu’un qui, nous dit-il, avait perdu 60 personnes de sa famille dans tous les camps hitlériens.

Là, où passe Boualem, l’effet est durable. Et au moment de se séparer, le seul mot que son public et lui n’ont pas prononcé, est ‘’adieu’’, tant il était évident pour tous, qu’une longue histoire venait de commencer. Venait ou avait déjà commencé depuis si longtemps, il y a 2000 ans ou plus, lorsque les premiers Juifs arrivèrent après avoir été chassés de leur Judée et qu’ils furent adoptés par les Berbères ?

Car s’il est bien un sentiment qui vous prend à la gorge et ne vous quitte plus en arrivant pour la première fois à Jérusalem, c’est que c’est bien le lieu où l’histoire brisée et violente de l’humanité se recollera et s’apaisera…
Que les artistes et intellectuels du monde arabe qui auront un peu de son courage sachent ce qui les attendent et ce qu’ils auront à ressentir : combien il est bon d’être aimé par ceux que l’on nous avait présenté comme des ennemis !

Ses derniers moments hiérosolomytains, Boualem tint à les passer avec ses compatriotes de Tlemcen, Miliana, Blida, Alger, et j’en oublie, (cf toutes les photos ci-dessus) dans une superbe maison du quartier juif de la Vieille Ville, rasé après 1948, quand il tomba dans les mains de la Jordanie, et reconstruit après la victoire israélienne lors de la guerre des six jours en 1967.

Avant de se séparer, on monta sur la terrasse. Il faisait grand nuit, et le Dôme du Rocher luisait de sa dorure. On pouvait rêver à la grande réconciliation entre les enfants d’Abraham que venait à peine d’évoquer notre hôte, lui aussi Abraham, dans une magnifique envolée lyrique, applaudie par Boualem…

Moi je ne pus m’empêcher de penser à ce SMS reçu à Paris il y a 2 ans, que me retransmit une intellectuelle algérienne et qui disait, alors que l’on venait juste d’inaugurer la grande synagogue ‘’Hourva’’ explosée, avec de nombreuses autres en 1948, par la Légion jordanienne : ‘’En ce moment les buldoozers deTsahal sont en train de détruire El Aqsa’’

PS : Ah, j’allais oublier… On a aussi beaucoup parlé de littérature. Boualem ne la joue jamais ‘’Ah vous savez c’est très mystérieux’’… Il demande juste combien de temps on lui donne pour répondre, et comme s’il se parlait, il recompose, et réemprunte devant nous, mezzo voce, tous ses labyrinthes créatifs.

Mais pour cette fois, je crois que là n’était pas l’essentiel…

In : http://www.guysen.com
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Israël - Boualem Sansal, la visite tumultueuse d'un écrivain algérien en Israël
par Misha Uzan
Numéro 1114 - 22.05.2012 - 1 Sivan 5772

Boualem Sansal est un auteur algérien censuré dans on pays.
Ailleurs dans le monde il est un romancier et essayiste, reconnu.
Il a participé la semaine dernière à la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, défiant la censure dans son pays -et le monde arabe pour - se rendre en Israël.

"Quand j'ai accepté cette invitation je suis devenu la cible de la condamnation, mais j'ai décidé de venir parce que c'était important" a déclaré Boualem Sansal.

Boualem Sansal, âgé de 62 ans, a grandi dans un village berbère à 200 km au sud-ouest de la capitale, Alger. Ingénieur et titulaire d'un doctorat en économie, et il a commencé à écrire des romans à 50 ans après une longue carrière au sein du gouvernement.

Aujourd'hui, le romancier est un critique véhément du gouvernement autoritaire en Algérie ainsi que des islamistes. Depuis 2006 ses livres - tous écrits en français - ont été interdits en Algérie.

Sansal a été présenté en 2007 au Festival de littérature de Berlin comme un écrivain "exilé dans son propre pays.".
Dans un discours d'ouverture du salon des écrivains, dimanche soir, Uri Dromi, le directeur général, a applaudi Sansal, et d'autres qui ont bravé la pression pour se rendre en Israël, rendant hommage à "certains de nos amis de l'étranger confrontés, comment dirais-je, à la critique hostile".

En 2008 Sansal a publié son cinquième roman, le premier à être traduit en anglais, sous le pseudonyme de Mujahid.
Le roman raconte l'histoire de deux frères algériens qui découvrent que leur père avait été un officier nazi SS qui a fui en Afrique du Nord après la Seconde Guerre mondiale. Il explore également les liens entre le nazisme et l'islamisme, deux mouvements qui selon l'auteur, partagent des visions totalitaires et connaissent tous deux "le concept de la conquête - la conquête des âmes, mais aussi des territoires.

"Je vois bien des parallèles, et je crois que nous devons analyser le national-socialisme, si nous voulons garder l'islamisme en échec", commentait-il en 2009.

A Jérusalem, Sansal, laïc convaincu, a réitéré ses avertissements concernant la marée montante de l'islamisme dans le sillage des révoltes arabes.
"Je pense que nous sommes dans les années 1930 du siècle dernier - alors, personne n'a répondu correctement.
Aujourd'hui l'islamisme est devenu le fascisme.
Il ne faut pas se leurrer, cela prendra 10 ou 15 ans - ce sera un travail très difficile".

Les réactions en Algérie ont été partagées.
"Sur mon site, c'était 50/50" explique-t-il. "La moitié des gens disaient qu'on devrait faire pour moi ce qu'ils ont fait à Mouammar Kadhafi en Libye. L'autre moitié a dit que c'est merveilleux, que nous pouvons apprendre de l'expérience d'Israël. "

Dans le reste du monde arabe, les réactions à la visite de Sansal ont été extrêmement négatives.
Le Hamas a fustigé la visite de l'auteur comme un "crime contre les 1,5 millions de martyrs algériens qui ont sacrifié leur vie pour la liberté sous l'occupation française", affirmant qu'il légitime "les crimes perpétrés contre le peuple palestinien."

Sansal a indiqué qu'il expliquerait les raisons de sa visite une fois qu'il serait rentré en Algérie. "Je vais m'expliquer par des articles.
Je suis très écouté en Algérie, même si je ne suis pas autorisé à m'exprimer librement là-bas."

In : http://www.israel-infos.net
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Ferhat, Sansal, Israël et la Palestine
21-05-2012
Par Noureddine Khelassi
Irrésistiblement, les visites en Israël d’un écrivain algérien et d’un homme politique qui se définit avant et après tout comme Kabyle, entraînent la pensée vers le philosophe roumain Emil Cioran. Les séjours dans l’Etat hébreu de Boualem Sansal et de Ferhat Mhenni inspirent le souvenir de l’auteur du «Précis de décomposition», de «La tentation d’exister», du «Bréviaire du vaincu» et de «La chute dans le temps». Si comme Cioran, Boualem et Ferhat avaient été confrontés à la «pensée de la lucidité et du reniement permanent», et médité comme lui sur «l’illusion vitale», ils auraient su que «n’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi». Et, toujours éclairés par Cioran, ils se seraient probablement convaincus que «la lâcheté rend subtil». Grâce à lui encore, ils se seraient persuadés que «l’homme libre ne s’embarrasse de rien, même pas de l’honneur». Peut-être, oui peut-être, ils auraient lu, comme dans un miroir, l’hypothèse de Cioran énonçant que «si l’on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaitrait sur le champ». Alors, regardons leur geste avec les yeux de Palestiniens que nous ne sommes pas mais que nous pouvons être, par principe. Des palestiniens qui, après avoir lu le même Cioran auraient demandé aux Algériens Boualem et Ferhat si c’est «le besoin de remords qui précède le mal, qui le crée ?» A cette question, nos deux libres transgresseurs de «tabous arabes», selon l’expression d’un journal parisien et pharisien, ne peuvent se dérober. D’abord Boualem Sansal, auteur désormais distingué en France, en Allemagne et en Israël, du «Village de l’Allemand» et de «Rue Darwin». L’écrivain, est, par définition, un homme libre et un libre penseur. Il est libre de ses choix sans pour autant faire
l’économie de leurs multiples implications. Car il est lui-même un symbole, porteur de symboles et ne faisant et ne disant rien qui ne soit pas de l’ordre du symbolique. Présent au Mishkenot Sha’ananim, le Festival international des écrivains de Jérusalem, le romancier ne pouvait ignorer que l’invitation qui lui était adressée était symbolique de ce que les Israéliens voulaient tirer comme avantages du symbole. A aucun moment, l’écrivain, qui a toujours mis son talent au service du courage de pourfendre l’autoritarisme et l’islamisme dans son pays, n’a dit un mot, aussi symbolique soit-il, sur les Palestiniens. Peut-être que les murs de l’apartheid, érigés par l’intransigeance idéologique, l’arrogance militaire et l’intolérance religieuse israéliennes sont trop épais. Tellement consistants que l’écrivain n’a pas entendu les cris de douleur et de désespoir d’un peuple reclus dans des ghettos territoriaux et assignés à résidence, la vie durant ? Partout où l’écrivain symbolique est passé en Israël, notamment au célèbre café-librairie Tmol Shilshom de Jérusalem, pas un mot de lui sur le déni permanent du droit élémentaire du peuple palestinien à vivre dans un Etat souverain et viable. Un Etat dans des frontières reconnues et sûres, qui ne ressemble pas à la peau de léopard taillée à la serpe par une politique de colonisation intensive et expansive. Pourtant, c’est Boualem Sansal lui-même, dans «Rue Darwin», qui a écrit : «Je découvrais que les grands criminels ne se contentent pas de tuer comme ils s’y emploient tout au long de leur règne ; ils aiment aussi se donner des raisons pressantes de tuer : elles font de leurs victimes des coupables qui méritent leur châtiment.» A Jérusalem, l’écrivain algérien, et c’est tout un symbole, ne l’a pas répété, mêmes avec d’autres mots. Primo Levi, l’auteur de «La recherche des racines» et du «Fabricant de miroirs», l’aurait «considéré comme un ami», a dit de Sansal un de ses interlocuteurs israéliens. Ariel Sharon est certes dans le coma éternel, mais il n’est pas encore mort. Boualem Sansal l’a oublié. L’autre visiteur d’Israël, même si la symbolique de son séjour en terre sainte est différente, a, lui aussi, oublié le symbole Sharon. Ferhat Mhenni, président du mouvement séparatiste MAK, chef de l’ANAVAD, le gouvernement provisoire de la Kabylie, non encore reconnu, s’est rendu en Israël, à l’invitation d’un dirigeant de premier plan du Likoud. Parti symbolique, allié à l’extrême-droite religieuse qui veut pousser les murs de séparation jusqu’à la mer et au désert du Sinaï. Les dirigeants israéliens, qui connaissent la valeur des symboles liés au mont Sion, Théodore Herzl et Eretz Israël, ont vu en Ferhat Mhenni un symbole. Il est le premier Algérien à souhaiter l’installation d’une ambassade israélienne en Algérie, même si, dans un futur hypothétique, elle serait ouverte à Tizi Ouzou ou à Bgayet. Les idéologues du Likoud, encore un symbole, n’ignoraient rien de l’attachement que porte Ferhat Mhenni à son appartenance tribale. Précisément, aux Ath Ugshaâlal, une des quatre tribus kabyles supposées avoir des liens séculaires avec le judaïsme, présent en Algérie depuis plus de 2000 ans ! Certes, en 2011, l’ancien chanteur engagé d’Imazighen Imoula, s’est prononcé en faveur d’un Etat palestinien. Mais pour un Etat palestinien qui n’aurait pas forcément une viabilité territoriale et qui aurait cependant l’obligation de reconnaître Israël comme «l’Etat du peuple juif». Ferhat, aujourd’hui à la tête d’un gouvernement virtuel kabyle, doté d’un drapeau et d’un «hymne national», considère le régime algérien comme un occupant qui opprime la Kabylie. En revanche, il ne voit pas dans l’Etat colonial et confessionnel d’Israël l’occupant qui opprime le peuple palestinien depuis la grande naqba de 1948. Peut-être que si Mhenni avait lu ou relu Cioran, il aurait compris qu’ «une civilisation débute par le mythe et finit par le doute.» Et que «tout désespoir est un ultimatum à Dieu.» Le mythe, c’est celui du sionisme. Le désespoir, celui du peuple palestinien.    

In : http://www.latribune-online.com
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Cher (e)s ami (e)s
Voici l'article:


‎"La Nation" a republié un texte critique sur l’œuvre littéraire de Boualem Sansal que j'ai écrit il y a deux ans (extrait de « Chroniques ciné-littéraires de deux guerres », Barzakh, 2011). Il y a l’homme (qui visite Jérusalem occupé au moment où même la Cour suprême israélienne condamne les projets de colonisation dans cette ville et en Cisjordanie). Il y a aussi son œuvre, critique certes mais faussement révolutionnaire.
Amicalement
Yassine
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Du « Serment des barbares » à « Poste restante : Alger » : la satire conventionnelle de Boualem Sansal
Yassin Temlali (Extrait de Chroniques ciné-littéraires de deux guerres, Barzakh, Alger, 2011)
Yassin Temlali
Mardi 22 Mai 2012

La récente visite en Israël de l'écrivain algérien Boualem Sansal fait polémique.
Nous publions cette analyse par Yacine Temlali de l’œuvre de Sansal. Les écrits d'un auteur renseignant sur sa vision du monde, bien au-delà des voyages qu'il entreprend.


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Avant d'accéder à la célébrité à cinquante ans, Boualem Sansal a été consultant en affaires, chef d’entreprise et haut fonctionnaire du ministère de l’Industrie. Jusqu’à la parution de son premier roman, « Le serment des Barbares(1) » en 1999, il s’était fait connaître essentiellement par quelques ouvrages spécialisés en économie.

« Le serment des Barbares » lui a valu une notoriété immédiate, à laquelle n’était pas étranger le contraste entre la condamnation féroce du pouvoir algérien dans ce roman et le profil de fonctionnaire discret de son auteur. Le « directeur central » soumis à l’ « obligation de réserve » s’était fait romancier. Il avait mis sa connaissance des rouages de l’Etat au service d’un art romanesque, où le fil de la satire politique se déroule sur le fond d’un véritable désenchantement des chances du pays de survivre à ses prédateurs.

Dans ce texte touffu, l’Algérie contemporaine est disséquée de manière peu amène : corruption, injustice, violence et vanité des institutions. Le romancier s’était fait médecin. Un médecin sans concession qui, fatalement, allait provoquer l’incompréhension de tous les officiels, amateurs de diagnostics complaisants. En 2003, il est limogé de son poste au ministère de l’Industrie. Un règlement de compte, pense-t-il : « [Le ministre islamiste, El Hachemi Djaâboub] voulait s'entourer d'islamistes, des gens de son douar, une pratique bien établie chez nous(2).» Ce limogeage n’en est pas moins une bénédiction. S’il l’a privé « d’avoir un pied dans le réel(3) », il lui a permis de se consacrer pleinement à l’écriture.

Nourrie du succès du « Serment des barbares », l’entreprise sansalienne de dissection de la société et de ses dysfonctionnements a continué sans relâche ces dernières années. « L’enfant fou de l’arbre creux(4) », publié en 2000, confirmera le talent littéraire et satirique de Boualem Sansal. A travers de longues conversations entre un Français, Pierre, et un jeune Algérien, Farid, acculés au dialogue par une proximité non désirée, celle du monde carcéral, ce roman est le lieu d’une même parole désabusée sur l’Algérie. « ‘’L’enfant fou de l’arbre creux’’ peut symboliser le peuple algérien infantilisé par des discours extrêmement primitifs. Il est enchaîné, aveuglé. L’arbre creux, c’est cette Algérie dont on a enlevé toute la richesse, toute la substance, c’est un arbre sec », commente l’auteur(5). La prison de Lambèse, où se déroule ce face-à-face allégorique entre Pierre et Farid, symbolise, quant à elle, la perpétuité de l’enfermement algérien et ses terrifiantes conséquences. Comme ce triste pénitencier, le pays est une immense jungle où la force prime le droit, sous l’œil consentant de terribles matons sans scrupules.

En 2003, Boualem Sansal publie « Dis-moi le paradis(6) ». Dans les conversations avinées mais lucides du Bar des amis, « c'est l'Algérie qui est mise en scène, à nu, l'Algérie d'aujourd'hui, schizophrène tournant sur elle-même, crapahutant avec ses malheurs et ses bonheurs, plus hantée par son passé décomposé et travesti que par son devenir(7) ». « Harraga(8) » (2005), quatrième roman de l’écrivain, poursuit cette enquête romanesque sur le « malaise algérien » à travers l’histoire de Lamia, une pédiatre de la santé publique, dont la vie intime se déroule entre le souvenir de Sofiane, son frère, un harraga (émigré clandestin) disparu sans crier gare, et une jeune fille, enceinte d’un enfant illégitime, qu’elle a accueille et à qui elle finira par faire prendre le large à force de l’étouffer d’amour.

« Poste restante: Alger(9) » apparaît comme un concentré de la critique à laquelle Boualem Sansal, dans ses écrits romanesques, soumet l’Algérie contemporaine, ses apparatchiks, ses milliardaires et ses millions de « citoyens normaux », obéissants ou révoltés. Dans une interview publiée le 20 mai 2006(10), l’auteur reconnaît en son pamphlet une sorte d’apogée de la satire politique et sociale qui caractérise ses romans: « Dans tous mes romans, j'ai abordé des questions qui tourmentent mon pays et les Algériens, ce sont les questions de l'identité, des langues, de la religion, des institutions, de la démocratie… Dans ‘Poste restante’ j'ai rassemblé toutes ces questions sous forme pamphlétaire. »

Dans ce court essai, Boualem Sansal lance une attaque en règle contre l’idéologie officielle qui fonde l’identité nationale sur deux principales « constantes », l’arabité et l’islam. L’Algérie, écrit-il, n’est arabe que si l’on fait abstraction de ses 80% de Berbères et des « naturalisés de l’histoire » que sont, selon lui, les Mozarabes, les Juifs, les Pieds-noirs et autres Turcs [...] » Pourquoi veut-on faire de nous les clones parfaits de nos chers et lointains cousins d'Arabie? », s’interroge-t-il. « Disons que pour le moment l'Algérie est peuplée d'Algériens et on en reste là. L'affirmation entêtée d'une arabité cristalline descendue du ciel, est d'un racisme effrayant. »

Les foudres de Boualem Sansal n’épargnent pas les « berbéristes » radicaux qui, en réaction aux discours arabistes négateurs, estiment que les Berbères sont les seuls Algériens authentiques: « Nous sommes trop mélangés, dispersés aux quatre vents. Il ne nous est pas possible, dans ma famille, de savoir qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons, alors chacun privilégie la part de notre sang qui l'arrange le mieux dans ses démarches administratives. Les Berbères n'ont pas forcément vocation à être, à eux seuls, les enfants de l'Algérie.»

L’autre « constante » de l’idéologie officielle, selon laquelle l’islam est non seulement la religion du peuple mais aussi celle de l’Etat, est écorchée, ce qui est un fait rare, presque un précédent, dans la longue histoire des polémiques identitaires algériennes, l’islam étant souvent considéré, sincèrement par les uns, hypocritement par les autres, comme une « composante consensuelle » de l’identité nationale: « Cette ‘constante’ [l’islam] est une plaie, elle nie radicalement, viscéralement, les non-croyants, les non-concernés et ceux qui professent une foi autre que l'islam. En outre, elle offre le moyen à certains de se dire meilleurs musulmans que d'autres, et qu'en vertu de cela ils ont toute latitude de les redresser. De là à songer à les tuer, en même temps que les apostats, les mécréants, les non-pratiquants et les tenants d'une autre foi, il n'y a qu'un pas et il a été maintes fois franchi en toute bonne conscience. » Les recommandations sansaliennes sont clairement laïcisantes: « Supprimer l'enseignement religieux de l'école publique, fermer les mosquées qui ont proliféré dans les sous-sols des ministères, des administrations, des entreprises, des casernes et intégrer la construction des mosquées dans les plans directeurs des villes. »

L’œuvre romanesque de Boualem Sansal est éminemment politique, mais Boualem Sansal se défend d’être un « auteur politique » par choix personnel: « J'observe notre société et je constate que la politique pèse lourdement sur elle, au point de faire disparaître le reste. Mon idée, mais on peut se tromper, est que si on fait tant de bruit c'est sûrement pour assassiner le silence. C'est dans le silence que l'on réfléchit. Dans le fracas, on est amené à crier pour se faire entendre(11). »

La satire de Boualem Sansal, si elle peut prétendre à l'excellence du point de vue littéraire, n’est pas toujours exempte d’un certain simplisme. En atteste certains passages de « Poste restante: Alger ». La description des « maux algériens », formidablement menée, manque de véritable profondeur; on a peine à trouver à ces maux une autre origine que la seule bêtise des gouvernants. Il n’est certes pas demandé à un romancier d’être un fin politologue, mais cet essai n’est pas uniquement ce cri de colère qui résonne dans tous les romans de l’écrivain. Il est aussi une esquisse d’ « alternative moderniste » comme en témoignent toutes ces propositions de laïcisation de la vie publique. Lorsqu’un écrivain s’implique aussi directement dans les débats de sa société, n’est-il pas comptable de l’incohérence de son discours et de ses péchés incantatoires?

A bien des égards, la satire sansalienne paraît peu originale. Dans ses grands axes, elle reprend, en l’habillant d’une cinglante ironie, le discours traditionnel des élites modernistes, marginalisées par le pouvoir enlisé dans de dangereuses alliances avec les islamistes et autres conservateurs. Ainsi, si dans « Poste restante: Alger », le mythe populaire de l’« arabité éternelle » de l’Algérie est puissamment ébranlé, il est aussitôt remplacée par un autre mythe, celui d’une méditerranéité elle aussi « cristalline, descendue du ciel » pour reprendre les termes de l’auteur: « Nous sommes des Algériens, c'est tout, des êtres multicolores et polyglottes, et nos racines plongent partout dans le monde. Toute la Méditerranée coule dans nos veines. » Il est à se demander si les Touaregs, Algériens des confins subsahariens du pays, se sentent vraiment « méditerranéens ». Rien n’est moins sûr, mais c’est là un leitmotiv du discours anti-arabiste algérien qui, pour fuir les entraves d’un panarabisme obsolète et exclusiviste, se perd dans l’éther d’une Méditerranée illusoire et s’enferme, à son tour, dans le cercle vicieux des vaines quêtes identitaires.

L’alternative que propose Boualem Sansal au régime algérien, producteur d’injustices et de fanatisme, est d’un surprenant conformisme. C’est, en deux mots, le libéralisme aussi bien politique qu’économique. Dans une interview parue dans « Le Quotidien d’Oran(12) », Boualem Sansal - alors haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie - assumait la vulgate économique officielle avec une verve étonnante, sans y mettre une virgule de réserve. « Je suis censé m’occuper de la restructuration du tissu industriel pour l’adapter à l’économie de marché. Les grands combinats industriels comme El-Hadjar et compagnie, il faut les préparer à la privatisation. Il faut leur réapprendre l’efficacité, leur apprendre en fait, parce que je ne sais pas si à un moment ou à un autre ils l’ont su. » Boualem Sansal s’est-il demandé si les victimes des « plans de restructuration » élaborés dans l’intimité de son ministère, à l’insu des Algériens dont il pense porter la parole, ne constituent pas l’effrayante armée de réserve de l’islamisme conquérant?

Mais c’est l’idéal social de Boualem Sansal qui constitue la plus fidèle expression d’une pensée désabusée, qui ne fait pas de place au moindre rêve collectif. Des justes plaidoyers en faveur de l’émancipation de l’individu des carcans patriarcal et communautaire, on bascule dans la célébration naïve de la « réussite individuelle » et de l’ » effort personnel ». Dans cette même interview au « Quotidien d’Oran », l’auteur, dans la pure tradition rhétorique « temmarienne », conseille aux jeunes de ne plus trop compter sur l’Etat: « Il est temps maintenant qu’on fasse notre petit chemin tout seul. » Quel modèle de réussite propose-t-il à ces « paumés », livrés à eux-mêmes? Celui d’investisseurs entreprenants, pionniers irréels qui partent de rien pour conquérir le monde et la fortune(13). Il conclut ses conseils d’aîné expérimenté sur une note authentiquement bouteflikienne: « Les gens disent: ‘L’Etat ne fait rien’. Mais l’Etat n’a plus les moyens! » A sa décharge que, comparé aux idéologues officiels, sa défense du libéralisme a le mérite de la cohérence. Elle accorde la place qui leur sied aux libertés politiques et individuelles.

Boualem Sansal a commenté l’interdiction de « Poste restante : Alger » en regrettant que les idées qu’il y développe ne puissent pas prêter à débat en Algérie. Il n’a pas tort. Ces idées peuvent, en effet, être à l’origine d’intéressantes polémiques. Non seulement sur l’autisme du régime et sur son système de censure-répression dont l’auteur n’est pas la première victime, mais aussi sur un autre autisme, celui des « élites modernistes » enfermés dans l’univers de leurs poncifs paternalistes et dont les colères, à bien les observer, sont loin d’être subversives.

Notes
 
(1) Gallimard (France).
(2) Entretien avec Ali Ghanem, « Le Quotidien d'Oran », 8-10 mai 2003.
(3) « Je reste au ministère parce que je tiens à garder un pied dans le réel. Vivre comme ça de fiction, écrire de la fiction puis en parler ensuite à longueur de journée, à la longue, c’est appauvrissant. » Entretien avec Ali Ghanem, « Le Quotidien d'Oran », 24 septembre 2000.
(4) Gallimard, 2000.
(5) Entretien avec Ali Ghanem (déjà cité).
(6) Gallimard.
(7) Ahmed Hanifi, introduction à une interview avec Boualem Sansal publiée le 6 mai 2006 sur www.dzlit.com, site consacré à la littérature algérienne.
(8) Gallimard.
(9) Gallimard, 2006.
(10) Entretien avec Ali Hanifi (cité plus haut).
(11) Entretien déjà cité avec Ali Ghanem, « Le Quotidien d’Oran », les 8-10 mai 2003.
(12) 24 septembre 2000.
(13) « L’Algérie, jusqu’à présent, était faite par les politiques, par les partis au pouvoir, il est temps qu’elle soit faite par les citoyens eux-mêmes, pour accéder à la citoyenneté et puis bâtir. On commence à voir ça sur le plan économique. Il y a des gens qui investissent, qui galèrent en Algérie, mais qui avancent. » Entretien avec Ali Ghanem, « Le Quotidien, d’Oran », 24 septembre 2000.

In : http://www.lanation.info
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En Israël, l’écrivain algérien Boualem Sansal brave les tabous arabes


Par AUDE MARCOVITCH De notre correspondante à Tel-Aviv


Un petit sourire flottant sur les lèvres, de longs cheveux gris-blanc attachés dans le dos, Boualem Sansal vient de prendre place au milieu d’un cercle d’auteurs venus échanger leurs vues et leurs histoires au Festival international des écrivains de Jérusalem. Derrière lui, en majestueux paysage de fond, serpente la muraille de la vieille ville. «Les élites intellectuelles ne sont pas encore arrivées à s’autonomiser du pouvoir dans les pays arabo-musulmans. Et dans cette culture, on a trop sacralisé les choses, que ce soit l’Etat, qui fait office de calife, ou la religion», dit l’écrivain algérien.


L’auteur du Serment des barbares, de Poste restante… et du Village de l’Allemand a maintes fois fait la preuve de son indépendance d’esprit. Plusieurs de ses ouvrages sont d’ailleurs interdits dans son pays. Mais en se rendant en Israël, il a franchi un pas de plus. «Ce n’est pas un voyage facile, confie-t-il. Il y a eu une levée de boucliers, notamment de la part du Hamas à Gaza, qui a sorti un communiqué incroyable demandant à tous les pays arabes de me boycotter.» Qu’à cela ne tienne, Boualem Sansal obéit «à ce qui se passe dans [sa] tête» et à personne d’autre. Fidèle à son statut d’intellectuel engagé, il relève, face à un public conquis : «Il faut affronter le danger. Si tu le fuis, il te rattrape, si tu l’affrontes, tu as une chance de gagner.»


La soixantaine passée, Sansal ne pensait pas un jour venir en Israël, ni qu’un de ses livres serait traduit en hébreu. A Jérusalem comme à Tel-Aviv, il crée avec l’auditoire un lien intime. Il parle des peuples rendus aveugles aux liens qui les attachent, et incapables de s’en libérer. Des victoires des islamistes dans les pays arabes, une tendance «très inquiétante, face à laquelle l’Occident est en dessous de tout». Il raconte l’élaboration de son roman le plus célèbre, le Village de l’Allemand, qui l’a fait plonger dans l’enfer de la Shoah en suivant le parcours d’un nazi recyclé dans le nationalisme arabe. «Ecrire ce livre a été une grande douleur», décrit-il. Invité à l’Institut français de Tel-Aviv, il échange des souvenirs algériens nostalgiques avec d’anciens compatriotes, et un dialogue se noue avec d’anciens déportés, qui jugent que «Primo Levi l’aurait considéré comme un ami».


Après sa visite décriée, Boualem Sansal reconnaît appréhender le retour sur ses terres algériennes : «Peut-être vont-ils m’arrêter à l’aéroport ? Peut-être serai-je victime d’une attaque ?»










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In : http://www.liberation.fr


17 mai 2012














TEL AVIV. Rencontre exceptionnelle avec l’écrivain Boualem Sansal


L’Ambassade de France et l’Institut français d’Israël ont le plaisir de vous annoncer :


EVENEMENT LITTERAIRE - L’écrivain algérien de langue française


Boualem Sansal - Invité de l’Institut français d’Israël - A l’Institut français de Tel Aviv, Rothschild 7


L’Ambassade de France et l’Institut français d’Israël reçoivent, pour la première fois en Israël, l’écrivain algérien de langue française Boualem Sansal.


Après David Grossman en 2010, Boualem Sansal, auteur de six romans, dont le célèbre Village de l’Allemand (Kinneret 2010), vient de recevoir à la publication de Rue Darwin (Gallimard 2011) le prestigieux Prix de la Paix des Libraires Allemands pour « célébrer son activité littéraire qui sert de manière significative la progression des idées pacifistes »


C’est par le biais de son ami l’écrivain algérien Rachid Mimouni que Boualem Sansal entre en littérature. Docteur en économie, enseignant à l’université, ce courageux auteur de la littérature algérienne s’est vu limogé de son poste de haut fonctionnaire pour la façon dont il a critiqué ouvertement la situation économique et social de son pays.


En 1999, Gallimard publie son premier roman, Le Serment des barbares, salué par la critique et par le public. Son livre sorti en 2008 Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, inspiré par la vie d’un officier SS reconverti en héros du FLN consacre l’écrivain qui reçoit plusieurs prix dont le Grand Prix de la francophonie. Le livre est traduit dans 16 langues.


Dans Rue Darwin sorti en 2011, Boualem Sansal raconte sa vie dans un pauvre quartier d’Alger où vécut Albert Camus. Ce roman est peut-être le roman le plus intime, le plus secret de l’auteur. En recevant le prestigieux Prix de la Paix des Libraires Allemands, la profession salue chez l’écrivain son courage de « critiquer ouvertement la situation politique et sociale » de son pays. Boualem est heureux bien qu’un peu étourdi de tant d’honneur ! Pour lui, c’est ainsi qu’il conçoit sa qualité de citoyen d’un pays, son pays, l’Algérie qu’il n’est pas prêt de quitter…


Boualem Sansal est l’invité de marque de la 3ème édition du Festival international d’Ecrivains de Mishkenot Sha’ananim qui se tient du 13 au 17 mai à Jérusalem.Boualem Sansal y rencontrera l’écrivain israélien A.B. Yehoshua le 16 mai à 17h, une rencontre inédite et attendue entre deux écrivains face à leurs héritages et à l’actualité.


Une rencontre unique se tient à Tel-Aviv pour le public de l’Institut français le 15 mai.


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Dans le cadre du festival International d’Ecrivains de Mishkenot Sha’ananim :






Lundi 14 mai à 20h


« Quel rôle pour la littérature dans les régions du monde en conflit ? »


Table ronde avec Boualem Sansal, Lukas Bärfuss, Sami Berdugo et Avirama Golan


En anglais, traduction simultanée en français


Mardi 15 mai à 14h30






« Convergences et ruptures entre Orient et Occident »


Table ronde avec Boualem Sansal, Aleksandar Hemon, Smadar Perri, Lukas Bärfuss et Stefan Weidner


En anglais, traduction simultanée en français


Mardi 15 mai à 17h30


Lectures avec Boualem Sansal, Arnon Grunberg, Herman Koch et László Krasznahorkai


Mercredi 16 mai à 17h


Rencontre entre A.B Yehoshua et Boualem Sansal


En français, traduction simultanée en hébreu


Informations sur le festival :


Tél : 02-6292215


Ou par email : prog@mishkenot.org.il


Site Web : www.mishkenot.org.il


Programme : www.writersfestival.mouse.co.il/en/program


Réservations :


8 Shamai St. Jerusalem


Tel : 02-6237000 Fax : 02-6244535 www.bimot.co.il 6226*






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In : http://www.ambafrance-il.






















Littérature : Boualem Sansal en Israël


L’écrivain algérien, Boualem Sansal, sera reçu en Israël la semaine prochaine. Il est l’invité de marque de la troisième édition du Festival international d’écrivains de Mishkenot Sha’ananim, qui se tiendra du 13 au 17 mai à Jérusalem.


Les écrivains israéliens et du monde entier se rencontreront pour partager leurs opinions et idées lors de débats et discussions littéraires, de spectacles musicaux et d’ateliers. Le festival explorera les diverses étapes aboutissant à la naissance d’un livre : le processus de création menant à une histoire, les méthodes de traduction, les écarts culturels à réduire et bien encore pour cette semaine importante dans le monde de la littérature israélienne. Les célèbres écrivains israéliens Amos Oz et David Grossman sont attendus à ce festival, suite à la publication de leur dernier ouvrage ainsi que Tracy Chevalier, suite à l’adaptation cinématographique de son livre.


Le 15 mai, dans l’après-midi, Boualem Sansal participera à une rencontre autour de la littérature avec Amon Grunberg, Herman Koch et Lazlo Krasnahorkai. Le soir, il se déplacera à Tel Aviv où il sera reçu par l’Institut français d’Israël à débattre de son œuvre. Le lendemain à Jérusalem, il rencontrera l’écrivain israélien A. B. Yehoshua. Ce déplacement de Sansal en Israël est l’aboutissement logique du parcours éditorial de l’écrivain. Son ouvrage Village de l’Allemand (Gallimard 2008), où il décrivait l’itinéraire d’un ancien soldat de l’armée allemande, lui a ouvert les portes des milieux israéliens, pour ne pas dire sionistes, via l’Allemagne. Inspiré par la vie d’un officier SS reconverti en héros du FLN, le livre consacre l’écrivain au niveau international et lui vaut plusieurs prix.


Sa dénonciation du massacre des juifs par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, surtout accompagnée d’un amalgame avec l’intégrisme terroriste islamiste, lui a valu des sympathies. En 2011, pour Rue Darwin (Gallimard 2011), il avait obtenu le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands pour «célébrer son activité littéraire qui sert de manière significative la progression des idées pacifistes».






Walid Mebarek
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Boualam Sansal invité d'honneur au Festival International des  Ecrivains à Jérusalem
Lundi, 07 Mai 2012 12:26 | par Mahia
Concernant l’article sur la participation de l’écrivain Boualem Sansal au Festival International des Écrivains à Jérusalem, dans le magnifique quartier de Mishkenot Sha’ananim, «construit il y a deux siècles par Lord juif Montefiore afin de remédier à la misère des Juifs, qui subissaient l’humiliation quotidienne du joug musulman», ainsi que nous l’écrit Jean-Pierre Lledo qui précise : «Un traitement à ce point dégradant, qu’il alerta même Karl Marx». (à ce sujet lire le magnifique article qu’il a publié dans New Metal Agency
Je poste donc cet ajout à l’article dans notre agora :
Si on clic sur le lien [http://boualemsansal.blogspot.fr/] que j’ai inclus dans l’article de Jean-Pierre Lledo, on y lit le blog d'Ahmed Hanifi (du 11.11.2011), qui commente en détail le tout dernier livre de Boualem Sansal "Rue Darwin", (qui est selon pas mal de lecteurs son chef d’œuvre) donnant à penser que l'auteur du blog est tout à fait favorable à l'écrivain, mais il y a une 2e partie et là, retournement. Voici que ce qui est reproché à l'écrivain, le manichéisme, c'est exactement ce qui ressort des remontrances d'Hanifi ! En gros, il qualifie Sansal d'iconoclaste sans jamais le dire parce que Yaz, le personnage de Rue Darwin (et à travers lui, l'écrivain) s'autorise à aller à contre courant de l'establishment, de la pensée unique, de "l'arabiquement correct", qui ne souffre pas que l'on sorte du rang, que l'on se démaquer, ou critique ouvertement (l’Islam en l’occurrence). Hanifi condamne sans ambages la liberté altière et courageuse manifestée par Sansal qui écrit comme il veut, avec talent, en toute indépendance. Et cela, l'indépendance de conscience, c’est intolérable pour ceux qui n’ont pas eu le cran de se remettre en question, de remettre en question ce qui aujourd’hui est devenu purement dogmatique et donc arraché à la chair de la vie.
Malgré tout Hanifi n’est pas en mesure de contester la valeur de l’œuvre de Sansal sous peine d’être taxé de malhonnêteté intellectuelle. Et du coup sa critique se retrouve toute flageolante entre louange et blâme : «L’on peut reprocher à Boualem Sansal, ou à ses personnages, (écrit Hanifi) une certaine perception du monde, plutôt manichéenne, une perception parfois auto-flagellante. Ce reproche je le fais ici à travers cette recension incomplète, mais nous ne pouvons faire l’impasse sur la fiction en tant que telle. Rue Darwin est un roman de haute facture, même si cette inspiration, cette hardiesse, cette effervescence, ce mouvement qui ont émaillé ses premiers romans est moindre. Mouvement qui féconde la vérité, une vérité parmi d’autres, la vérité de la littérature. De son style fluide (…) transparaît un témoignage fort, bouleversant même, « écrit comme un impressionniste construit son œuvre », ou sa fresque. »
A propos de Boualem Sansal, Jean-Pierre Lledo écrit : « Boualem Sansal est un immense écrivain algérien, d’aucuns ne résistant pas à décréter qu’il est même le meilleur que l’Algérie ait jamais produit. Et Sansal, probablement parce qu’il est hors de portée du qu’en dira-t-on, a décidé de briser le boycott que les Arabes imposent à l’Etat hébreu et d’accepter de participer au Festival des écrivains. (…) Il faut en effet savoir que, dans le monde arabe et musulman, même lorsque l’on peut tirer à boulets rouges sur le pouvoir, décrier le système politique mafieux, et mettre à nu les travers de la société patriarcale, l’intellectuel est tenu, par compensation, d’afficher un nationalisme sans faille, et surtout, de charger Israël.
Or Boualem Sansal est sans doute le premier intellectuel du monde arabe et musulman à ne pas se plier à cette contingence.
Dans quelques jours, du 13 au 16 mai, Boualem sera donc pour la première fois en Israël, dans Jérusalem, sa capitale de toujours. La capitale de la Judée, débaptisée par l’empereur Hadrien, et renommée Palestine, en l’an 135, afin de sanctionner la révolte des Hébreux contre l’occupant romain, dirigée par Bar Kokhba. Jérusalem, que l’islam conquérant commença de recouvrir par ses propres temples, dès le VIIème siècle.
Avec Sansal, on sort des sentiers battus chers à la littérature du monde arabe ; de l’obsessif, de l’onirique, du romantisme poétique, et de la poisseuse nostalgie de l’âge soi-disant d’or, pour aller, dans des formes de plus en plus classiques, vers le réalisme. »
Lire l’article complet dans [http://www.menapress.org], cela en vaut vraiment la chandelle !
 

In :  http://www.nananews.fr
 

Précision de A.Hanifi : « La Ména, [menapress.org]de son nom complet la Metula News Agency, est dirigée au plan rédactionnel depuis le village israélien de Métula qui lui donne son nom. Ce village est le plus septentrional de l'État d'Israël »
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http://www.elwatan.com – 10 mai 2012

Boualem Sansal, entretien : courage et liberté


15 octobre 2011 (probablement – article non daté)

Invité à la fin du mois de septembre par le festival international de littérature de Berlin, Boualem Sansal est le lauréat du Prix de la paix des libraires allemands. Il sera récompensé le 16 octobre, dans l'église Saint Paul de Francfort, qui a déjà vu passer d'illustres personnages, entre autres Leopold Sedar Senghor, Yehudi Menuhin, ou encore Vaclav Havel. Cette année, les libraires allemands saluent « un romancier passionnant, qui travaille avec beaucoup d'esprit et de sensibilité à la rencontre des cultures, dans le respect et la compréhension mutuelle entre les peuples », et souhaitent « lancer un signe en faveur du mouvement démocratique en Afrique du Nord ». Et en effet, l'écrivain algérien francophone appelle ses compatriotes à s'opposer comme lui au régime d'Abdelaziz Bouteflika et à à renverser ce « dictateur habillé en démocrate », installé au pouvoir depuis 1999. Rencontre dans la capitale allemande, avec un homme engagé et déterminé.










La Gazette: Nous sommes un journal franco-allemand, voici donc la question rituelle. Quel est votre lien avec l'Allemagne ?






Boualem Sansal: J'ai d'abord un lien ancien avec l'Allemagne, en tant que haut fonctionnaire, au ministère de l'industrie Le plus grand partenaire de l'Algérie dans le domaine industriel, c'est l'Allemagne. J'ai donc été très souvent appelé à aller dans des délégations d'hommes d'affaires, de hauts fonctionnaires, pour négocier. J'ai connu l'Allemagne à travers ce biais là, à travers ce qu'elle a de meilleur et de supérieur aux autres; c'est à dire son industrie. Ensuite, j'ai redécouvert l'Allemagne sous un autre angle. J'ai une passion pour l'Allemagne, je viens très souvent, cinq ou six fois par an, voire plus, j'y ai maintenant beaucoup d'amis. Je me sens bien en Allemagne.










La Gazette: D'où vous est venue ce que vous qualifiez de « passion » pour la Shoah ?






Boualem Sansal: C'est lié à ma trajectoire personnelle, j'avais sans doute une sensibilité particulière pour ce genre de choses. Et au début des années 1980, j'ai découvert ce village dont j'ai tiré ce roman: Le village de l'Allemand. J'ai voulu comprendre le pourquoi, le comment et les mécanismes de la Shoah. Ça s'est très vite transformé en une sorte d'addiction. Au départ, j'avais un intérêt plutôt historique pour cet évènement, l'intérêt d'un être humain qui s'intéresse aux grands malheurs du monde. Ensuite j'ai fait un travail de plus en plus scientifique, pour essayer de comprendre réellement.










La Gazette: Votre regard sur cette tranche de l'histoire a-t-il évolué ?






Boualem Sansal: Aujourd'hui, je me pose des questions qui ne me venaient pas à l'idée il y a dix ans. Par exemple, la question de la culpabilité. On découvre que la frontière entre victime et criminel est très mince. Depuis quelques temps, je travaille beaucoup sur les Sonderkommando, ces prisonniers qui étaient chargés de sortir les cadavres de la chambre à gaz et de les emmener aux fours crématoires, puis de récupérer les cendres et d'aller les jeter dans les rivières aux alentours. Je lis en ce moment un livre terrifiant de Krakowski, qui a du faire ça pendant des années. On découvre que tout en étant un homme de bien, on peut vivre dans le mal absolu. Comment l'âme humaine se protège de cela? La protection la plus évidente est le suicide. Mais même lorsqu'on est un homme de bien, le mal exerce une fascination étrange sur l'âme humaine. Chacun est donc un tortionnaire en puissance.










La Gazette: Que signifie pour vous le prix de la paix, que vous allez recevoir ?






Boualem Sansal: Ce prix est un grand évènement, dans la mesure où il reconnait que je suis un homme qui œuvre pour la paix. Je n'en avais pas conscience. Au contraire, j'étais un militant, dans l'appel à l'action, prêt à faire la guerre pour mon pays et pour me libérer. Mes livres sont des plaidoyers pour la guerre. Ce prix va me changer, mais je ne sais pas encore comment, de la même manière que la découverte de ce village dans les années 1980 et que l'étude approfondie de la Shoah m'ont beaucoup changé.










La Gazette: Pourquoi cette phrase que vous avez eue: « il faut s'engager à visage découvert » ?






Boualem Sansal: Être caché, c'est manipuler les autres. C'est faire prendre des risques aux autres en disant: « Allons à la guerre, je vous suis! » Signer de son propre nom, c'est dire: « Allons à la guerre, ensemble ». Se cacher décrédibilise le discours, et entraine de la suspicion. Au-delà, il faut assumer pleinement son engagement politique. Comment s'engager à moitié lorsqu'un système vous écrase? S'engager à moitié, c'est servir la dictature. Il n'y a pas de demi-mesure. Ou on soutient la dictature, ou on devient un ennemi de la dictature et la dictature finira par vous tuer, alors il faut aller jusqu'au bout.










La Gazette: Aujourd'hui,vous vivez en Algérie. Vous arrive-t-il de craindre pour vous ou pour votre famille ?






Boualem Sansal: Bien sûr. C'est un régime très dangereux, qui tue facilement. Mais le fait d'être en Algérie ne change rien. L'un des plus grands opposants a été assassiné à Francfort, ils l'ont pendu dans sa chambre d'hôtel. Un autre a été tué à Barcelone. Mais le meurtre n'est pas la seule solution du régime. Un opposant peut être discrédité, pris dans un complot... J'ai réfléchi avant de signer mon premier ouvrage. J'aurais pu aller se cacher au fin fond des États-Unis, dans un petit village. Mais à quoi sert le combat dans ces conditions? pourquoi se battre si c'est pour se cacher sous une pierre?










La Gazette: Vos livres sont-ils publiés en Algérie?






Boualem Sansal: Le village de l'Allemand a été censuré en Algérie. Mes trois premiers romans* se vendaient, on pouvait les trouver en librairies. Pourtant, ils dénoncent tout aussi violemment le pouvoir que les suivants. Mais le contexte le permettait, le président Bouteflika venait d'arriver au pouvoir, il y avait une certaine détente. À l'époque, j'avais une vie littéraire normale. Et puis j'ai donné plusieurs interviews, et dans certaines d'entre elles, je me suis attaqué directement au président Bouteflika. Alors j'ai été limogé [en 2003]. En 2006 j'ai écrit Poste Restante qui a été interdit et cette décision s'est étendue de manière non-écrite à tous mes ouvrages et à ma personne. C'est à dire que depuis six ans, je n'existe pas.










La Gazette: Comment vivez-vous cette mise à l'écart?






Boualem Sansal: Quelquefois ça me gène. Les gens écrivent n'importe quoi dans la presse et je ne peux pas répondre. Je ne peux pas intervenir et corriger. C'est frustrant. Je rencontre parfois des personnes de la presse à qui je demande s'ils me publieraient si je leur envoyais un papier. Ils me répondent que ça dépend de ce que j'aurais écrit, parce qu'il y a la censure. Les journaux subissent la censure et beaucoup de pression de la part de l'État. Ils impriment sur des rotatives qui appartiennent à l'État. Alors s'ils veulent imprimer quelque chose qui ne plait pas, soudainement il y a une grève d'une heure ou alors la machine tombe en panne et l'édition ne peut pas être imprimée.










La Gazette: Y a-t-il eu un « printemps arabe » en Algérie ?






Boualem Sansal: Cette année, en février, on a appelé à manifester sur la place d'Alger. On était 2000 sur la place, et autour de nous, il y avait 35 000 policiers. La population était tenue à l'écart dans un cercle de 3 km. La masse ne pouvait pas se créer et déborder le service d'ordre. Ils ont beaucoup appris de la gendarmerie française et de la police américaine. Maintenant ils savent comment empêcher les gens de manifester. Le premier cercle, c'est la police, le deuxième cercle la gendarmerie en dehors des villes, et plus loin c'est l'armée. Toute la ville est donc en état de siège en 1h de temps. On ne peut pas non plus entrer dans la ville par l'autoroute, tout est fermé, ils créent des embouteillages à l'entrée de la ville. On ne peut donc pas accéder au centre-ville, et au centre-ville, toutes les ruelles sont bloquées. Dans les petits villages et les petites villes, ils permettent, parce qu'il faut laisser les gens se défouler. Si les gens manifestent, la police n'intervient pas. Ils marchent, ils crient, ils détruisent, ça permet de détendre l'atmosphère.










La Gazette: Avez-vous tout de même l'espoir de voir tomber le régime de M. Bouteflika ?






Boualem Sansal: Pas dans l'immédiat. Le régime algérien est beaucoup plus fort que le régime tunisien par exemple. En Tunisie, c'était une petite dictature policière. Le pouvoir algérien est issu de la révolution. Les membres du pouvoir ont déjà fait une guerre, ce sont des révolutionnaires, ils ont une morale spéciale, le meurtre leur est très naturel, ils sont extrêmement dangereux. Ils ont réussi à surmonter une guerre civile de dix ans. À un moment, les islamistes étaient très proches de prendre la capitale. Et en créant une contre guérilla, le pouvoir a réussi à vaincre les islamistes.










La Gazette: Quelle est la situation linguistique en Algérie ?






Boualem Sansal: En Algérie, il n'y a pas de langue, et il y en a trop. Il y a l'arabe classique qui est l'arabe du coran. C'est une langue uniquement utilisée dans le domaine religieux et dans une littérature, une poésie laudative. C'est la seule langue qui est enseignée à l'école, car tout Arabe se doit de connaître l'arabe du coran. Il y a ensuite l'arabe qui est parlé par les populations. C'est un mélange de mots d'arabe classique transformés, de mots empruntés aux langues anciennes, aux dialectes, arabisés. Cette langue n'est pas écrite, n'a pas de syntaxe, pas de grammaire, et est instable. On ne peut la parler que dans des lieux très limités, car elle varie d'un village à l'autre. Donc on comprend, mais pas tout. Cette situation a perduré pendant des siècles, d'un côté la langue du coran pour le sacré, de l'autre la langue de la rue pour le monde profane.










La Gazette: Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui?






Boualem Sansal: Lorsque l'Algérie s'est retrouvée indépendante, la question de la langue officielle s'est alors posée pour la première fois, car jusque là, la langue officielle avait toujours été celle du colonisateur. On ne voulait pas garder le français et l'arabe dialectal ne pouvait pas servir de langue officielle. Comme il y avait un grand sentiment de religiosité, ils ont choisi l'arabe classique. Mais très vite, ils se sont rendus compte qu'on ne peut pas faire d'une langue sacrée une langue officielle de travail. En effet, l'arabe sacré s'est arrêté au 16e siècle et ne s'est pas enrichi depuis. Et en dix siècles, il s'est créé des milliers de concepts et d'idées nouvelles. Alors on a rapidement créé ce qu'on appelle l'arabe officiel. C'est un mélange d'arabe coranique – peut-être 30% à 50% – et de traductions phonétiques de l'anglais et du français pour tous les mots qui manquent.






La Gazette: Cette multiplicité de langues pose-t-elle des problèmes de compréhension ?






Boualem Sansal: Quelle que soit la langue que vous parlez, il y a beaucoup de gens qui ne vous comprennent pas. Mais le vrai drame, c'est pour l'école et la justice. Au tribunal on est tous dans la situation de quelqu'un de sourd et muet. Le juge le procureur et l'avocat s'expriment dans un arabe classique châtié, qu'il est interdit de traduire, alors que l'accusé parle une autre langue. Il ne comprend donc pas les questions du juge. Parfois, l'avocat traduit discrètement à l'accusé, qui répond dans sa langue. Le juge comprend mais fait semblant de ne pas comprendre. Il y a donc un problème de justice incroyable.










La Gazette: Et pour l'école ?






Boualem Sansal: Le deuxième problème est l'école. À l'école, où parle l'arabe classique aux enfants. Et quand ils rentrent chez eux, il sont dans un autre univers linguistique. Un enfant qui vit en Kabylie parle en kabyle toute la journée. Il passe donc d'une langue à l'autre et ça ne lui donne pas de continuité psychologique. Au contraire, il vit des ruptures, car les deux langues n'ont pas la même logique, ne véhiculent pas la même culture, ce sont deux univers complètement différents.






La Gazette: Que faudrait-il faire alors pour arranger cette situation ?






Boualem Sansal: Ce qu'il faut, c'est un État démocratique. Parce que ce qui importe ce n'est pas tant la solution, c'est la manière de la trouver. Est-ce qu'on la trouve d'une manière dictatoriale, ou est-ce qu'on laisse les gens s'exprimer? Je suis pour cette deuxième méthode. Laissons les gens parler, ils trouveront la solution par eux-même. Ou ils ne la trouveront pas et continueront à chercher, comme dans beaucoup de pays.










La Gazette: Quelle différence entre l'arabe classique et l'hébreu, entre l'islam et le judaïsme ?






Boualem Sansal: L'hébreu a été modernisé, et les religieux ont accepté cette modernisation. Au contraire de chez les musulmans, Le texte religieux n'est pas fait pour être appris par cœur et être récité de manière incantatoire. Dans la religion judaïque, le texte est fait pour être étudié, point par point, pour essayer de comprendre. Ça développe donc des capacités d'analyse, ça permet une gymnastique qui a permis aux Juifs de s'adapter dans tous les pays. La capacité à réfléchir longtemps, parfois des siècles, à des problèmes est très particulier à cette religion. C'est une force qui a aussi permis à Israël d'amalgamer toutes ses populations.










Propos recueillis par Marion Muracciole






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In : http://www.lagazettedeberlin.de – N° 36

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