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mardi, décembre 23, 2014

457_ La petite mosquée des Inuits: Extrait n° 05



(suite) 

Lorsqu’ils lui demandent si son association est en relation avec celle de Whitehorse, Marie dit en connaître l’existence, mais pas vraiment les membres qui la dirigent ou la constituent. Elles n’ont pas d’activités communes et n’échangent pas leurs expériences. Avant la fin de la rencontre, ils réservent un monospace pour la période allant du mercredi 20 au jeudi 28. « Vous êtes tranquilles maintenant », leur dit Marie Chaumont. Elle semble aussi contente de leur rendre service qu’ils sont eux-mêmes contents de rencontrer des gens aussi avenants. 
Vers midi, ils vont faire des courses à Extra Foods un supermarché que leur suggéra Victor. Puis reviennent à la maison pour déjeuner. Omar propose de faire un grand tour avec le Kombi. Il dit vouloir mieux le connaître, en maîtriser la conduite. Ils quittent le pavillon et prennent la vieille route de l’aéroport. Ils contournent la ville par le nord, empruntent la Frontier Trail, puis l’Ingraham Trail, la route qui passe devant la mine d’or Giant aujourd’hui désaffectée. La vitesse maximum est de soixante kilomètres à l’heure. De nombreux panneaux invitent à la prudence. La vitesse est encore plus réduite sur certains tronçons de Yellowknife où il est interdit de rouler à plus de trente kilomètres à l’heure. La conduite du Volkswagen n’est par conséquent ni stressante ni même fatigante. Au cinquième kilomètre après la mine on peut soit continuer, soit prendre à droite. Si on poursuit l’Ingraham Trail, on arrive à Tibbit Lake à une centaine de kilomètres. Au-delà il n’y a que des « routes de glaces » qu’on ne peut utiliser qu’entre mars et décembre. Ces routes mènent au Nunavut. Si on prend à droite, ce que font Véro et Omar, au kilomètre quinze on arrive à Dettah, un village indien qui se trouve en face de Yellowknife, sur le bord du Grand lac des Esclaves : « Welcome to Dettah Yellowknives Dene First Nation Territory ». Pour s’y rendre en hiver, il est préférable d’emprunter la « route de glace » qui traverse le lac Slave en un de ses bras au nord. Elle est directe et plus rapide. Les deux collègues ne s’attardent pas à Dettah. Le bâtiment gouvernemental du chef Drygeese est fermé. C’est une sorte de pentagone construit sur deux niveaux auquel on accède par plusieurs escaliers et plusieurs portes vitrées. Sur la principale, un autocollant et une pancarte indiquent, le premier « please report to receptionist for assistance – Mahsi Cho » sur la seconde « Closed ». Dans le village il n’y a rien d’intéressant. Une quinzaine d’épaves de motoneiges, trois tipis, une peau d’ours semblent abandonnés. Hormis des gamins qui courent après un chien inuk fatigué, Dettah donne l’impression que pas une âme n’y vit ou que ses habitants sont reclus dans les maisons, ou qu’ils s’absentèrent. Sur des monticules de gravier traînent des objets de toutes sortes : carcasses de vélo, caisses en métal et en bois, pneus… En retrait, au bord du lac Slave une autochenille semble attendre l’hiver. Étrange sensation de désolation. Sur le retour ils croisent deux renardeaux portant chacun dans la gueule, fièrement, une énorme dépouille de corbeau. Ils avancent et le bruit du véhicule ne semble pas les perturber. Omar donne son verdict bien avant la fin du tour qu’ils s’imposèrent : « Le Westfalia est impeccable ». En lisant le carnet d’entretien, Véro remarque que le véhicule possède un suivi mécanique de qualité. Une révision préventive générale avait même été réalisée en juin. Tout avait été vérifié : pneus, freins, suspension, la direction, le moteur… « Il est impeccable », reprend Véro.

Le soir ils se retrouvent au Mackenzie Lounge sur la 49° Street avec Marc, Karin, Marie et Victor. Marc invita ses collègues Rob Ruben et Joneen Jensen, mari et femme, tous deux reporters pour CBC-North. Les fishs and ships et la Yukon gold sauce sont succulents. Sur scène le chanteur folk Craig Cardiff remporte un vif succès. Le pub est comble. Ils ont de la chance. La voie est langoureuse, habitée de mélancolie… « Here’s to the year where we learned that Fear/Rents the cheapest room in the house, dear/Love called and said she found a better room/ To the year where we stayed awake/ And talked about how the earth quaked/ It surely must be a sign the sky would fall » Rob et Joneen sont friands d’informations. Ils veulent connaître les raisons qui amènent Véro et Omar dans ce coin perdu, « this lost town ». Les Marseillais leur détaillent le projet qui ravit les journalistes. Joneen parle correctement le français. Mais hélas pour eux les Canadiens ne savent rien sur cette mosquée qui a flotté des milliers de miles sur le Mackenzie. Ils demandent même si cela n’est pas une plaisanterie, ce qui contrarie Véro et Omar. Toutefois, Joneen et son compagnon invitent les Marseillais, qui n’y voient pas d’inconvénient bien au contraire, à parler de leur projet à la radio. Ils prennent rendez-vous pour le vendredi au pavillon de la 54° Street.  La discussion allant, on leur vante le village de Tuktoyaktuk, ils disent Tuk, ses entrepôts souterrains, et surtout cette femme, la mère Ninguiukusuk qui n’a plus d’âge, dont le corps porte les stigmates de taillades de plusieurs ours et qui aime à raconter son passé chaotique dans le restaurant qu’elle tient dans un des nombreux sous-sols frigorifiés de Tuk. 


Tuk- in Google Earth
 C’est un village méconnu aujourd’hui, mais pas pour longtemps assurent-ils. Pourquoi, parce que ses entrailles sont potentiellement riches de plus de 20% des réserves mondiales d’hydrocarbures. La semaine prochaine et la suivante il va s’y tenir un important festival des arts premiers qu’il ne faut pas manquer. C’est à cent quarante kilomètres au nord d’Inuvik. « Mais en été il n’y a pas de route, on ne peut y accéder qu’en avion » dit Rob. Dans dix ans, peut-être y aura-t-il une « route tout temps », fonctionnelle en été comme en hiver, « mais nous n’y sommes pas encore » tempère-t-il. Pendant la discussion, Marc présente aux Marseillais un jeune homme qu’il invite à se joindre au groupe. « Just a drink » s’enthousiasme celui-ci en tendant la main. Il affiche un large sourire : « Jean-Pierre Fontaine ». Marc dit : « nos amis viennent de France ». Jean-Pierre est un jeune poète francophone, originaire de La Gaspésie. Il est membre de North words writers, une association d'auteurs dont la majorité est anglophone. Lui est un parfait bilingue. Il est aussi journaliste à L'Aquilon, un hebdomadaire francophone de la région. La soirée est longue et belle en promesses. Le jeune poète est ravi lorsqu’il prend connaissance des projets de Omar et Véro « surtout ne manquez pas les bains à Liard River Hots Springs, ils sont exceptionnels, c’est sur votre route, à cent quatre-vingt-cinq miles seulement de Fort-Nelson. » Jean-Pierre est un amoureux de la France, particulièrement des nuits de Montmartre et du Quartier latin. Il en parlerait pendant des heures. Emporté par la bonne humeur et les souvenirs, il se laisse aller à déclamer des poèmes, debout, devant le micro abandonné par Craig Cardiff le temps d’une pause : « Le son de tes voies coule dans mes veines/ N’avais-je pas suffisamment d’audace/ Pour tatouer sur ton corps mes peines/ Retrouverai-je tes artères, tes places ?/ Dis-moi Paname si ma quête est vaine. » Pour ne pas froisser les anglophones, majoritaires dans le lounge, Jean-Pierre Fontaine lit Cachalot, un poème célèbre de Edwin John Pratt. A thousand years now had his breed/ Established the mammalian lead;/ The founder (in cetacean lore)/ Had followed Leif to Labrador;/ The eldest-born tracked all the way/ Marco Polo to Cathay;/ A third had hounded one whole week/ The great Columbus to Bahama;/ A fourth outstripped to Mozambique/ The flying squadron of de Gama… Jean-Pierre n’est pas inconnu. Il est chaleureusement applaudi par les uns et les autres. Marie informe les Marseillais que Jean-Pierre anime pour l’association des activités culturelles comme des lectures de textes ou des ateliers d’écriture créative. « Soyez les bienvenus leur dit Jean-Pierre en ouvrant grand les bras, venez participer à l’atelier du mercredi » « Avec plaisir, demain ? » répondent ensemble les Marseillais.  « C’est dans une semaine, vous serez encore là ? »

(à suivre)

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